ESQUISSE D'UN TABLEAU HISTORIQUE DES PROGRÈS DE L'ESPRIT HUMAIN, Marquis de Condorcet Fiche de lecture
Aussitôt élevée, lors de sa publication en l'an III par Mme de Condorcet et Daunou, au rang des œuvres nationales, l'Esquisse est souvent considérée, pour le contexte tragique qui a entouré sa composition, comme une œuvre de circonstance écrite quelques mois avant le décès de son auteur. Après l'échec de son projet de créer une constitution « girondine » et dénoncé en juillet 1793 par l'Assemblée pour avoir rendu un Avis aux Français sur la nouvelle Constitution rédigée par Hérault de Séchelles, Condorcet, décrété d'arrestation, se réfugie chez Mme Vernet et travaille, pour répondre aux calomnies dont il fait l'objet, sur un Fragment de justification qu'il abandonne finalement au profit d'un Tableau historique des progrès de l'esprit humain dont l'Esquisse est achevée en octobre. En réalité, la gestation de cette préface à une œuvre plus vaste dont l'auteur se réserva la rédaction jusqu'à sa mort, remonte aux notes préparatoires qu'en 1772 il consignait pour une introduction à une « Histoire de l'Académie des sciences » qui ne fut jamais écrite. Elle se rattache surtout à un fragment manuscrit datant de 1780 qui en constitue à l'évidence, pour son organisation en périodes et la parenté des thèmes exposés, une version ancienne. S'appuyant sur le rationalisme cartésien, l'empirisme de Locke et le sensualisme de Condillac qui fournissent une caution philosophique à la thèse de la perfectibilité humaine, l'Esquisse synthétise la philosophie des Lumières et témoigne de l'influence exercée sur Condorcet par le Tableau philosophique des progrès successifs de l'esprit humain et le Plan des deux discours sur l'histoire universelle de son maître et ami, Turgot.
Contre le « joug de l'autorité », le triomphe de la raison
Après avoir indiqué en introduction que la connaissance procède de la sensation, Condorcet, dans un esprit proche des Époques de la nature de Buffon, divise l'Esquisse en dix périodes qui se proposent de « présenter l'ordre des changements [...] et montrer ainsi, dans les modifications qu'a reçues l'espèce humaine, en se renouvelant sans cesse au milieu de l'immensité des siècles, la marche qu'elle a suivie, les pas qu'elle a faits vers la vérité ou le bonheur ».
Les trois premières époques retracent les débuts conjecturaux des sociétés humaines, simples familles ou peuplades isolées qui, passant de la pratique de la chasse et de la pêche à une économie pastorale puis à la sédentarisation agricole, s'acheminent lentement, à travers le développement des arts et des langues et les formes successives d'organisation sociale et morale, vers un état de civilisation toujours plus complexe.
La découverte de l'écriture alphabétique donne au progrès de l'esprit une formidable impulsion qui s'accomplit dans les vastes systèmes de pensée philosophiques que construit le génie grec et les diverses divisions qu'il opère dans le corpus en pleine expansion des sciences (quatrième époque), jusqu'à leur stagnation et leur chute avec la décadence de Rome sous l'emprise du christianisme (cinquième époque). C'est ensuite le temps des ténèbres qui s'abattent sur l'Orient et l'Occident, et de la barbarie et de « l'anarchie féodale dans laquelle le peuple gémissait sous la triple tyrannie des rois, des chefs guerriers et des prêtres » (sixième époque). La rencontre avec la science arabe, la diffusion de l'aristotélisme, la rhétorique et les fabliaux contribuèrent à relever de son ignorance et de son obscurantisme l'humanité entre-déchirée par ces autorités (septième époque). Mais c'est surtout, explique Condorcet dans la huitième époque, à l'imprimerie qu'il faut attribuer, pour avoir « répandu une lumière indépendante et pure », le recul décisif des superstitions[...]
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Écrit par
- Éric LETONTURIER : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
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CONDORCET MARIE JEAN ANTOINE NICOLAS CARITAT marquis de (1743-1794)
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PROGRÈS
- Écrit par Bernard VALADE
- 8 628 mots
- 2 médias
Dans l'Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain (1795), Condorcet a également établi un lien entre ignorance et vice, lumières et vertu. Pour l'ami de Turgot, la somme des vérités ne peut que s'accroître, le collectif et l'individuel s'associant dans la fonction...