ESQUISSE D'UN TABLEAU HISTORIQUE DES PROGRÈS DE L'ESPRIT HUMAIN, Marquis de Condorcet Fiche de lecture
Le testament des Lumières
Déjà présent chez Bodin, Pascal, Fontenelle et Priestley, le thème du progrès, que l'on retrouvera, à la suite de Condorcet, sous la plume de Cabanis, Guizot, Saint-Simon, Comte et même Hugo, se décline au xviiie siècle, tout comme son contraire, les « ruines », dans la partition très classique de la grandeur et de la décadence des empires. Manifeste contre le despotisme et le fanatisme, la synthèse que nous délivre l'Esquisse avec un optimisme certes parfois un peu désuet, ne saurait être réduite à une histoire politique redorant le catalogue de ses hauts faits et la galerie de ses grandes figures aux canons de l'imagerie des Lumières. C'est davantage la genèse séculaire des idées que le « dernier philosophe » retrace en s'appuyant sur une théorie de l'action qui renonce à faire de la connaissance, comme chez Platon, un acte contemplatif, ou, dans sa version augustinienne, le fruit d'une révélation solitaire et un don de la grâce. La sociologie des sciences qui s'esquisse ici manifeste l'émergence libératrice de la raison dans un processus social de construction engageant une diversité d'acteurs (savants, commerçants, industriels) dans la poursuite du bonheur terrestre et la lutte contre le mal suprême qu'est l'ignorance.
L'ensemble est soutenu par une philosophie de l'histoire qui, soulignant, pour expliquer les progrès ou les retards de l'humanité, le faisceau de facteurs en œuvre, voire l'interdépendance totale des mécanismes sollicités, fait de la communication des idées une clef essentielle à la compréhension des sociétés ; en témoigne la place que Condorcet accorde au langage, à la découverte de l'alphabet et de l'imprimerie, ou encore à la propagation funeste des contre-vérités. « Toutes les erreurs en politique, en morale, ont pour base des erreurs philosophiques, qui elles-mêmes sont liées à des erreurs physiques ». Par ailleurs, l'ouvrage insiste sur le rôle nouveau joué par les sciences sociales autant pour leurs applications pratiques qui pourront servir utilement à l'amélioration de la société, que pour des prévisions que l'usage des probabilités leur assure de fournir sans verser dans la prophétie.
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Écrit par
- Éric LETONTURIER : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
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PROGRÈS
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