ESSAI, genre littéraire
Le terme d'« essai » implique une part sans doute trop grande faite à la liberté, pour que puissent se soumettre à un même titre des écrits dont la caractéristique commune est l'hétérogénéité. Or, on désigne ainsi un certain nombre de textes en prose, aux formes diverses, mais comme soumis à une inspiration analogue et pratiquant des styles souvent proches les uns des autres, en dépit de l'éventail quasiment illimité des sujets. Si la tonalité constitue l'un des éléments d'unité, il convient probablement d'en voir la raison dans la paternité du genre qu'il faut indiscutablement attribuer à Montaigne, ainsi posé comme élément de référence, sinon comme modèle.
Vraie ou fausse modestie, l'essai donne le livre qu'il nomme pour une tentative, sans prétentions de maîtrise ou de magistrature, tentative novice d'un amateur qui se refuse à accepter l'étiquette d'homme de lettres ou d'écrivain. Le noble Montaigne trouvait dans ce titre quelque excuse pour un gentilhomme descendu se promener au jardin des Muses, et qui eût probablement pensé déroger en endossant la robe d'un docte. « Je propose les fantaisies humaines et miennes, simplement comme humaines fantaisies, et séparément considérées, non comme arrêtées et réglées par l'ordonnance céleste » (I, lvi), dit-il pour définir son entreprise, assez amoureux de la liberté pour revendiquer pour lui-même celle de changer d'opinion, fidèle au provisoire et à la diversité des humeurs ou des pensées. « Tout argument m'est également fertile », écrit-il, en renvoyant aux circonstances de la vie quotidienne, aux événements historiques ou au hasard des lectures la responsabilité du sujet ou du thème un moment adoptés. Ce refus du pédantisme, de l'esprit de sérieux, constitue l'un des traits essentiels de l'essai, qui n'est pas l'un de ses moindres charmes. Seconde signification, liée à la première : l'essai se donne comme une épreuve de soi, une expérience dont le résultat sinon la visée est de prendre la mesure de sa pensée, de se connaître soi-même à travers ce qu'on écrit. L'enregistrement obstiné des réflexions vagabondes n'assure pas d'un progrès, moral ou intellectuel, à tout le moins témoigne-t-il d'un exercice ininterrompu du questionnement, à travers lequel se lit la recherche d'un homme qui se donne à lire jusque dans ses erreurs. Le lecteur, anonyme, auquel le texte s'adresse, se trouve placé dans une apparente position d'égalité par rapport à l'auteur, particulièrement lorsque celui-ci accentue son originalité individuelle. On pourrait dire que le lecteur de l'essai est tenu à l'humour.
F. Bacon pour la première fois emploie le terme comme désignant un genre littéraire, renvoyant à Montaigne, mais remontant à la tradition latine des Épîtres. L'allure familière des énoncés lui semble élément essentiel, l'absence de prétentions et le caractère personnel des propositions devant caractériser le style. C'est dans la littérature anglaise que l'on trouverait les plus nombreuses illustrations de l'essai, de Cornwallis à Hazlitt. Certes, Voltaire intitule son ouvrage historique Essai sur les mœurs..., mais la continuité et le sérieux du contenu excluent toute ressemblance avec le modèle posé par Montaigne. Il ne suffit pas que le terme « essai » entre dans l'intitulé pour que la tonalité attendue soit présente ; à la limite, plus qu'un genre, l'essai désigne des qualités humaines qu'on demande à trouver à travers un style, un refus du système, une bonhomie souriante, une acceptation des contradictions, une précision sans facilités, bref, l'intelligence. L'un des meilleurs exemples modernes de ce discours à bâtons rompus (oratio soluta[...]
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Écrit par
- Jean-Yves POUILLOUX : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé des lettres classiques, maître de conférences en littérature française à l'université de Paris-VII
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