ESSAI SUR LA NATURE DU COMMERCE EN GÉNÉRAL, Richard Cantillon Fiche de lecture
Les lois du « commerce en général »
À bien des égards, les lois que Cantillon s'applique à déduire de son essai demeureront au cœur des analyses ultérieures, notamment celles de l'école classique. Le titre du chapitre X exprime la principale de ces lois : « Le prix ou la valeur intrinsèque d'une chose est la mesure de la quantité de terre et du travail qui entrent dans sa production. » L'expression emprunte à la valeur « intrinsèque » des pièces d'or, c'est-à-dire le nombre de leurs carats, nonobstant la quantité d'alliages. Les prix effectifs sont appelés « valeurs des marchés », éventuellement différentes des « valeurs intrinsèques » en raison « des humeurs et des fantaisies des hommes, et de la consommation qu'ils feront ». L'analyse est ici semblable à celle de Smith, quand ce dernier opposera des « prix normaux » et des « prix de marché » ; les mécanismes régulateurs sont identiques dans les deux cas.
Entre le travail et la terre existe une équivalence logique car, en Europe, il faut une surface d'environ 1 arpent et demi de terre pour nourrir un homme adulte. Le salaire d'un laboureur vaudra environ le double pour nourrir le reste de la famille et assurer le renouvellement des générations. L'artisan gagne davantage parce qu'il faut compenser les années d'apprentissage pendant lesquelles il n'aidait pas son père à « des ouvrages de la campagne qui ne demandent point d'art ni d'habileté ». Son salaire peut dépasser le nécessaire si son travail est momentanément très demandé, mais ce ne sera que temporaire parce que « les hommes se multiplient comme des souris dans une grange, s'ils ont les moyens de subsister sans limitation ». Cantillon prévoit donc un accroissement spectaculaire de la population en Amérique ; en l'observant plus d'un demi-siècle après, Malthus exprimera des analyses très proches de celles de l'Essai.
Le risque permet de distinguer deux classes sociales, outre la classe des propriétaires terriens : celle des « entrepreneurs » et celle des « gens à gages ». Les premiers sont en quelque sorte à gages incertains, et tous les autres à gages certains. Jean-Baptiste Say distinguera plus précisément « l'entrepreneur » et le « capitaliste », deux personnages éventuellement incarnés par une seule personne.
La valeur du taux de l'intérêt est déterminée par les mêmes mécanismes que s'il s'agissait des autres produits. Elle ne dépend pas seulement, comme on le pensait à tort, de la quantité de monnaie disponible pour les emprunteurs mais aussi du désir d'emprunt, c'est-à-dire des perspectives de profit et des risques encourus. Quand la monnaie afflue, il n'est donc pas établi que le taux d'intérêt diminue. Il se pourrait même que l'augmentation des prix oblige les entrepreneurs à emprunter davantage, et donc à des conditions moins favorables. Ce raisonnement résout par avance ce que l'on appellera « le paradoxe de l'intérêt » au xixe siècle, quand on constatera que le taux est souvent élevé dans les périodes prospères.
Cantillon cherche quelle quantité exacte de monnaie ferait circuler au mieux les richesses d'un État. Il introduit pour cela l'idée et l'expression de « vitesse de circulation ». Celle-ci s'avère stable étant donné les habitudes de paiements, par exemple parce que « l'argent qui circule dans un État est égal en valeur à la neuvième partie de tout le produit annuel des terres ». Quand la monnaie s'avère excédentaire, un rééquilibrage automatique intervient, que David Hume analysera plus tard : tous les prix tendent à augmenter proportionnellement, les importations augmentent et les déséquilibres initiaux se résorbent. Le Prince pourrait stabiliser autrement ces fluctuations : en stérilisant les encaisses excessives[...]
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Écrit par
- François ETNER : professeur de sciences économiques à l'université de Paris-IX-Dauphine
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