ESSAI SUR LE PRINCIPE DE POPULATION (T. R. Malthus) Fiche de lecture
Ouvrage le plus connu de Malthus (1766-1834), mais déjà en germe dans un pamphlet intitulé The Crisis (1796), l'Essai sur le principe de population (An Essay on the Principle of Population) est en réalité le titre commun à deux ouvrages bien différents qu'on ne saurait assimiler à des versions successives ; entre l'édition anonyme de 1798 et celle de 1803 (et les quatre suivantes que l'auteur donna entre 1806 et 1826), les différences de volume, de contenu, de sources et de mode d'argumentation demeurent importantes. Dans l'Essai de 1798, la thèse soutenue à l'égard de la question de la population est à replacer dans le contexte d'une Angleterre en proie à la misère due aux effets conjugués de la mutation industrielle naissante et d'une politique rurale d'enclosures massives. Cette situation sociale tranche singulièrement avec l'optimisme et l'idéal d'émancipation des Lumières, ainsi qu'avec les utopies réformistes qu'inspirent les promesses de la Révolution française. Ainsi, motivé d'un côté par la croyance du vicaire anglican au péché originel, l'ouvrage est-il, d'un autre côté, écrit en réaction aux philosophies de Condorcet, Hume et Godwin, et imprégné des influences de Tucker, Franklin, Smith et Price, puis, dans la suite des éditions, de Petty, Young et Townsend.
La logique du principe de population : problème social et solution morale
Comportant 690 pages in-quarto réparties en cinq livres, l'Essai se présente comme une véritable démonstration destinée à prouver, à partir de l'élucidation de la « loi de population », que la solution à la misère et aux vices du peuple réside dans la limitation volontaire des naissances, uniquement réalisable grâce aux moyens moraux du mariage tardif et de la chasteté prémaritale.
À cet égard, le livre I s'ouvre sur le constat que, parmi les obstacles susceptibles de retarder le progrès et le bonheur humain, une cause, à l'évidence, s'impose : « la tendance constante qui se manifeste dans tous les êtres vivants à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée ». Ce différentiel de croissance s'explique par le type antagoniste de progression que suivent la loi de population et celle de subsistance : la première forme une suite géométrique, la seconde une suite arithmétique. Malthus distingue deux types d'obstacles à la population, les « préventifs » et les « destructifs », pour finalement en déceler trois : « la contrainte morale, le vice et le malheur ».
Une grande partie du livre I et l'intégralité du livre II sont consacrées à une analyse empirique détaillée de la situation démographique dans plusieurs pays afin de vérifier que la faiblesse des effets de ces obstacles est liée aux variations des rapports entre le volume de population et celui de la production agricole, entre les salaires et les prix des subsistances.
Le livre III examine et critique les mesures qui ont été prises pour résoudre les maux produits par le principe de population. À côté des fausses solutions que représentent, par exemple, la suractivité industrielle, la politique d'encouragement à l'émigration et la mise en place de « systèmes d'égalité », Malthus s'attaque aux « lois sur les pauvres » (palliant à l'origine, la crise économique et financière survenue au xvie siècle), au nom des effets pervers de l'assistance autant sur la condition du pauvre que sur la démographie.
Partant du caractère consubstantiel des passions à la nature humaine et des dangers qu'il y aurait à les combattre, le livre IV délivre la solution pour surmonter la dynamique contraire des deux lois. Retenue pour la simplicité de sa mise en œuvre pratique et sa conformité à l'éthique et au droit[...]
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Écrit par
- Éric LETONTURIER : docteur en sociologie, D.E.A. de philosophie, maître de conférences à l'université de Paris V-Sorbonne
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Média