ESSAI SUR LES RÉVOLUTIONS, François René de Chateaubriand Fiche de lecture
En 1794, F. R. de Chateaubriand (1768-1848) commence à rédiger l'Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française. Quand il le publie, en 1797, à Londres, la Révolution est achevée. À l'en croire, il renie l'ouvrage aussitôt publié, alors même qu'il en prépare, semble-t-il, une seconde édition. Violemment attaqué en 1811 à travers des extraits « perfidemment choisis », Chateaubriand songea en vain à offrir une édition intégrale de son premier livre. Sous la Restauration, après sa disgrâce, les attaques contre l'Essai reprirent. En 1826, il en publia une édition, précédée d'une Préface, dans ses Œuvres complètes chez Ladvocat. Entre-temps une copie de l'originale était parue en 1820, à Londres, chez Henri Colburn.
L'Essai participe d'une interrogation propre à son temps : comment comprendre la rupture de 1789, ses causes, sa violence et ses suites ? Chateaubriand pense y parvenir en l'inscrivant dans une tradition. Pour l'édition de 1797, le titre choisi, Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française, est à cet égard explicite. Les événements de 1789 sont interprétés à la lumière d'une tradition historiographique inaugurée par R. A. de Vertot (1655-1735), auteur d'une Histoire des révolutions de Suède (1695) et de l'Histoire des révolutions dans le gouvernement de la République romaine (1719). Tout au long du siècle se sont d'ailleurs multipliées les histoires des révolutions anglaises, espagnoles, persanes, napolitaines, jusqu'au Tableau des révolutions de l'Europe, de la fin de l'Empire romain à nos jours, de C. G. de Koch, en 1771.
Un essai de typologie
L'Essai sur les révolutions compte une Introduction et cinquante-deux chapitres. Les six premiers traitent de la révolution républicaine en Grèce, le septième de l'origine des noms des factions, la Montagne et la Plaine, qui ont donné leur nom aux partis de la Révolution française ; le huitième évoque la guerre des émigrés en Grèce, le treizième traite de Sparte et des Jacobins. Ce type d'entrelacement est fréquent, qui procède soit par filiation, par désignation anchronique (la substitution d'émigrés à bannis), soit par mise en rapport, comme dans les chapitres 18 (second chant de Tyrtée et hymne des Marseillais), 19 (parallèle entre Jean-Jacques Rousseau et d'Héraclite), 24 (ressemblance de l'Égypte et de l'Italie), 25 (parallèle entre Carthage et l'Angleterre), 39 (Tyr et la Hollande), 40 (La Perse et l'Allemagne). L'ombre portée de la Révolution française apparaît dans les chapitres consacrés aux révolutions anciennes. Ses causes intellectuelles font l'objet d'analyses précises dans les chapitres 50 (« Influence de la Réformation ») et 51 (« La Secte philosophique sous Louis XV »).
Ce mélange paraît aujourd'hui discutable. Il trouve sa raison d'être dans une définition précise de la révolution : par ce terme, précise Chateaubriand, « je n'entendrai [...] qu'une conversion totale du gouvernement d'un peuple, soit du monarchique au républicain, ou du républicain au monarchique [...] Toute guerre civile qui n'a pas produit des altérations remarquables dans une société » n'est point une révolution. Ce qui réduit le nombre de révolutions admises par l'historiographie : cinq pour l'histoire ancienne et sept pour l'époque moderne, dont, pour les plus récentes, « les malheurs de l'Angleterre durant le règne de Charles Ier et l'érection des États-Unis de l'Amérique en nation libre ». Voilà qui explique le mouvement de va-et-vient et le système de renvois que[...]
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Écrit par
- Jean Marie GOULEMOT : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France
Classification
Média