ESSAIS (M. Proust) Fiche de lecture

L’année 2022 est marquée par le centenaire de la mort de Marcel Proust. Trois grandes expositions parisiennes lui ont rendu hommage : Marcel Proust, un roman parisien au musée Carnavalet, Marcel Proust, du côté de la mère au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme et Marcel Proust. La fabrique de l’œuvre à la Bibliothèque nationale de France. Quant aux publications, elles sont tellement nombreuses qu’on ne peut en citer ici que quelques-unes. Outre les rééditions et présentations de l’œuvre dues au grand maître des études proustiennes, Jean-Yves Tadié, mentionnons notamment Antoine Compagnon, Proust du côté juif (Gallimard) ; Proust et le temps. Un dictionnaire, sous la direction d’Isabelle Serça (Le Pommier) ; « Marcel Proust et la langue française », de Luc Fraisse, dans la Revue d’études proustiennes (Classiques Garnier) ; Lettres à Horace Finaly de Marcel Proust (Gallimard) ; Élyane Dezon-Jones et Emily Eells, Illustrer Proust : l’art du repeint (Sorbonne Université Presses) ; Thierry Laget, Proust et les arts (Hazan) ; Mireille Naturel, Marcel Proust, l’arche et la colombe (Michel Lafon).

Quant au volume Essais publiésous la direction d’Antoine Compagnon, avec la collaboration de Christophe Pradeau et Matthieu Vernet (La Pléiade, Gallimard, 2022), on peut dire qu’il nous fait pénétrer dans l’atelier de la création proustienne. Antoine Compagnon a-t-il eu raison de reprendre un titre évoquant un autre écrivain qui lui est cher, Montaigne ? Il s’interroge lui-même sur la pertinence de ce choix dans sa préface, en fournissant de nombreux arguments en sa faveur. Sans aucun doute, Marcel Proust a beaucoup réfléchi au genre à adopter pour écrire son œuvre, hésitant précisément entre l’essai et la forme romanesque. Déjà à propos de Jean Santeuil, laissé inachevé, il se demandait :« Puis-je appeler ce livre un roman ? » Quand, en novembre 1908, il commence à travailler au projet de ContreSainte-Beuve, il consulte ses amis : doit-il écrire un article de forme classique dont le sujet serait Sainte-Beuve et sa conception de la critique littéraire ou choisir une forme plus romancée qui commencerait par le récit d’une matinée et se poursuivrait par une conversation avec « Maman » ? Cette même année 1908, il envisage aussi, parmi différents projets romanesques, d’écrire un essai sur Sainte-Beuve et Flaubert (lettre à Louis d’Albufera, 5 ou 6 mai). Il renoncera finalement à l’article classique et intégrera ses réflexions esthétiques dans le roman à venir, où « Maman » viendra s’inscrire en filigrane.

Proust en mouvement

Si le genre interroge constamment Proust et ses commentateurs, la question de la datation préoccupe aussi la critique proustienne. Certaines années, à la lumière de nouvelles publications, prennent un relief particulier, comme 1907 et 1911. Cette dernière, qualifiée par Compagnon d’« année blanche », devient l’année pivot autour de laquelle s’organise le recueil des Essais. La première partie du volume, celle qui cite les écrits antérieurs à 1911, est évidemment beaucoup plus développée puisqu’elle inclut Pastiches et mélanges (1919) ainsi que le « Dossier du Contre Sainte-Beuve ». Elle s’ouvre sur un répertoire des textes du jeune Proust publiés dans des revues classées par ordre chronologique. Cette partie, qui n’avait pas son équivalent dans le volume dit du Contre Sainte-Beuve publié par Pierre Clarac en 1971, est remarquable d’efficacité et d’intérêt. Elle montre qu’il existe une complémentarité entre la presse et l’écriture romanesque chez Proust, comme chez beaucoup de ses contemporains. Une complémentarité qui a été fictionnalisée par l’écrivain à travers le motif de l’article dans Le Figaro,qui apparaît dans Contre Sainte-Beuveet qui occupera par la suite une place prépondérante dans l’œuvre entière.[...]