ESSAIS DE LINGUISTIQUE GÉNÉRALE, Roman Jakobson Fiche de lecture
Roman Jakobson (1896-1982) a contribué aux recherches en grammaire historique du russe et en linguistique structurale, en poétique et en pathologie du langage, en anthropologie et en théorie de la communication, en histoire de la linguistique et en philosophie. Plusieurs de ces disciplines sont abordées dans les Essais de linguistique générale. Néanmoins, il demeure avant tout l'un des plus brillants phonologues de sa génération, cofondateur du Cercle linguistique de Prague avec N. S. Troubetzkoy (1890-1938) dont il généralisa les conclusions en s'intéressant à une description de la langue qui, par-delà l'extrême diversité des réalisations vernaculaires, retrouve les principes identiques (les universaux) qui les produisent. Passant de la langue à la parole, il a analysé les étapes à travers lesquelles l'enfant s'approprie la structure de sa langue et la façon dont le système se désintègre dans l'aphasie. Prolongeant son essai Langage enfantin et aphasie, 1940, cette réflexion forme le cœur des Essais de linguistique générale.
Du phonème aux traits distinctifs
« La description comparative des systèmes phonématiques [≈ phonologiques] de langues nombreuses et diverses, et leur confrontation avec l'ordre des acquisitions phonématiques dans l'apprentissage du langage par l'enfant, ainsi qu'avec le démantèlement progressif du langage et du système phonématique dans l'aphasie, nous fournissent d'importantes indications sur l'interrelation et la classification des traits distinctifs. Le progrès linguistique, et singulièrement phonématique, de l'enfant, et la régression de l'aphasique obéissent aux mêmes lois d'implication. [...] C'est sur les mêmes lois d'implication que reposent les langues du monde, dans leurs aspects statiques comme dans leurs aspects dynamiques. »
L'apprentissage de leur langue par les locuteurs (par opposition à l'apprentissage de langues étrangères), la décomposition de la communication par l'atteinte aphasique et la description interne des langues du monde sont conçus par Jakobson comme autant d'expérimentations en grandeur nature des principes de la phonologie et de la syntaxe. À la recherche des éléments premiers des langues (soit des unités primitives qui n'en contiendraient plus d'autres), il propose de faire remonter la décomposition en deçà du phonème, jusqu'aux « traits distinctifs » dont la combinaison (en faisceau de traits) et l'opposition (binaire) permettent d'articuler la structure phonologique d'une langue selon une certaine distribution de traits universels, et un certain état des relations entre marques.
Dans ce cadre, le [b] du français se définit comme la réunion des traits suivants : — vocalique (c'est une consonne), par opposition à [a], [i], [u]... ; — continu (c'est une consonne occlusive), par opposition à [f], [v]... ; — nasal (c'est une consonne orale), par opposition à [m], [n] ; — sourd (c'est une consonne sonore), par opposition à [p], [t], [k] ; — arrière (c'est une consonne réalisée à l'avant), par opposition à [g] ; — dental (c'est une consonne labiale), par opposition à [d].
Ces six « traits distinctifs » définissent exhaustivement le phonème [b] du français, alors que d'autres langues (le chinois, par exemple) devraient inclure, pour rendre compte de la même sténographie [b], un trait – — aspiré qui n'est pas pertinent en français (mais, en chinois, le trait sourd serait inutile). De tous les traits requis pour caractériser [b] dans une langue, aucun n'est strictement idiomatique, et donc propre à une seule langue. Seul est vernaculaire un certain état de l'interrelation conditionné par des solidarités et des oppositions structurales, c'est-à-dire par la façon dont sont distribuées[...]
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Écrit par
- Gabriel BERGOUNIOUX : professeur à l'Université d'Orléans
Classification
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