ESTERNO NOTTE (M. Bellocchio)

Le retour des fantômes

L’Aldo Moro de Bellocchio – un homme enfermé entre les quatre murs d’une petite cellule où il passe une bonne partie de son temps à écrire – est rendu touchant par la dimension de ses affects et l’étroitesse de ses perspectives de libération : il appelle au secours ses camarades de parti, le pape dont il est l’ami et auquel il rendait souvent visite, continuant à espérer qu’il existe une alternative à sa condamnation annoncée. Il pense à sa famille, à son épouse, à ses enfants, et imagine que ceux-ci pourront constituer un puissant relais pour pallier l’indifférence de ses amis qui ne pensent qu’à leur survie politique en invoquant la raison d’État.

Surtout, Bellocchio, qui, avec la série, dispose d’une durée narrative bien plus importante que dans le film, accorde aux comédiens une place centrale, à la mesure des personnages qu’ils interprètent : Fausto Russo Alesi dans le rôle de Cossiga, Toni Servillo dans celui de Paul VI, Margherita Buy dans celui de l’épouse du leader séquestré, et surtout Fabrizio Gifuni dans celui d’Aldo Moro. Tous participent grandement à la réussite de l’entreprise. Si Roberto Herlitzka était déjà très convaincant dans Buongiorno notte, Fabrizio Gifuni, en rajeunissant le personnage dans Esternonotte, lui donne une intensité encore plus déchirante. Il faut dire que le comédien s’est totalement imprégné de la figure d’Aldo Moro. S’inspirant des lettres du prisonnier et de son mémorial, il a même monté un spectacle qui lui est consacré, Con il vostroirridentesilenzio [Avec votre silence moqueur] et s’est ainsi préparé à incarner de façon bouleversante la victime – comme il l’écrit lui-même – « d’une des plus grandes trahisons de l’histoire italienne ». Et il ajoute en homme pleinement conscient des responsabilités : « C’est pour cela peut-être que les fantômes sont obligés de revenir, pour faire entendre encore leur propre voix » (Con il vostroirridentesilenzio. Le lettere e il Memoriale: voci dalla prigionia di Aldo Moro, 2022). À n’en pas douter, avec Esterno notte, Marco Bellocchio a donné la preuve que la fiction, avec la capacité de représentation qui est la sienne, constituait un des moyens de connaissance les plus aigus.