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ESTHÉTIQUE Esthétique et philosophie

L'esthétique subjectiviste

L'esthétique subjectiviste est d'abord une réflexion sur la perception esthétique. Au début du xxe siècle, cette réflexion s'est placée sous l'égide de la psychologie, et le concept clé qu'elle a mis en œuvre est celui d'Einfühlung (à quoi répond alors, en gros, chez Croce, le concept d'intuition). Cette esthétique en effet est toujours soucieuse d'assurer sa pertinence et son autonomie ; elle cherche pour cela à spécifier « l'attitude esthétique » (que V. Basch par exemple discerne parmi cinq « attitudes fondamentales du moi »), et y parvient par l'Einfühlung, sorte de communication avec l'objet selon un sentiment qui le pénètre jusqu'à s'identifier à lui et que Victor Basch traduit par symbolisme sympathique ou sympathie symboliste. Deux thèmes se mêlent dans cette analyse : celui d'une expansion de la personnalité, comme disait Theodor Lipps, qui projette sur l'objet des traits humains, et celui d'une aliénation de la personnalité qui se projette et se perd dans l'objet ; d'un côté, l'objet est éprouvé comme vivant la vie du sujet ; de l'autre, le sujet s'éprouve comme vivant la vie de l'objet. Lire la qualité affective exprimée par une œuvre – la tristesse d'un paysage, l'allégresse d'une mélodie, la sérénité d'un monument –, c'est la comprendre par moi ou me comprendre par elle. Que l'analyse oscille entre ces deux interprétations est plein de sens : cela signifie peut-être que l'expérience esthétique s'accomplit dans un retour à l'être sauvage où le sujet et l'objet ne sont pas encore séparés. Lorsque la phénoménologie prend le relais de cette psychologie, comme elle prend chez Bachelard le relais de la psychanalyse, elle rencontre le même problème : la conscience n'est pas souverainement donatrice de sens, elle reconnaît un sens immanent à l'objet ; et du même coup l'analyse intentionnelle des fils qui se tissent entre la conscience et son corrélat doit être double : noético noématique selon l'expression de Husserl ; et cette double analyse tend à cerner un état d'indistinction première entre le visible et le voyant, entre le réel et l'imaginaire.

Mais nous voudrions aussi souligner que cette esthétique qui privilégie d'abord le sujet est conduite aux mêmes problèmes qu'affronteront les esthétiques objectivistes. D'une part, parce que le sujet qu'elle décrit est un sujet concret, donc historique : elle ne peut ignorer que toute perception, tout usage de l'objet esthétique sont orientés par une certaine culture qu'il appartient à la sociologie de l'art d'explorer. D'autre part, même si cette esthétique se vouait à décrire un regard d'avant l'histoire, encore anonyme et général, elle ne peut ignorer ce que ce regard vise ; l'œil qui broute le tableau est conduit dans son inlassable parcours par des formes et des forces qu'il faut bien repérer sur la toile. C'est pourquoi, en fait, un des meilleurs exemples d'analyse formelle de l'œuvre nous est donné par un champion de l'Einfühlung : Lipps opère une combinatoire de formes plastiques possibles, qui lui permet de repérer 1 620 Grundformen, dont 540 procèdent de distinctions purement qualitatives, donc irréductibles.

Mais l'esthétique subjectiviste peut entreprendre de décrire une autre attitude esthétique : celle du créateur. Nombreuses ont été depuis Kant (et pourquoi ne pas dire : depuis Platon ?) les théories du « génie », auxquelles les artistes parfois se sont prêtés avec complaisance. Est-ce à dire que l'esthétique comme étude de la réception doit se conjuguer, comme le proposait Valéry et par la suite Gilson, avec une [...]

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