ESTHÉTIQUE Histoire
Le Moyen Âge
Le christianisme apporte en premier lieu à l'esthétique l'idée de création conçue d'après le modèle théologique. Certes, Dieu n'a pas besoin de matière pour créer ; son opération, qui s'accomplit hors du temps, ne peut se comparer à aucune autre. Mais sur l'artiste rejaillit quelque chose de la dignité de l'Acte suprême ; d'où ce que l'on a pu appeler un optimisme esthétique, propre à tout le Moyen Âge (Edgar de Bruyne), et sur lequel l'accent est mis avec d'autant plus de ferveur qu'il s'agit de compenser par l'art (et par un art essentiellement sacré) tout ce que le message chrétien contient, d'autre part, d'inquiétant : le sens du mal, de la laideur et du péché. L'art est subordonné à la foi ; il véhicule l'espérance, mais aussi la tension propre à la spiritualité, et cela entraîne une tonalité esthétique nouvelle.
En second lieu, la doctrine chrétienne, même si elle reprend la thèse néo-platonicienne selon laquelle l'art permet de transcender non seulement le sensible, mais aussi l'intelligible, exige qu'il soit tenu compte des nécessités de l'apologétique. Au symbolisme hérité de Plotin, elle juxtapose un allégorisme lui aussi inspiré de l'Antiquité, mais interprété, sous l'influence de la patristique, de façon très différente. Les innombrables mythographes grecs, principalement à l'époque alexandrine, rattachaient l'allégorie à la rhétorique ; elle était à leurs yeux une figure, un trope. Le christianisme y voit une correspondance réelle, et non plus verbale, entre des domaines d'être différents. L'allégorisme médiéval ne se confond pas avec le symbolisme, il le complète.
Enfin, le christianisme approfondit, dans un sens métaphysique inédit, l'esthétique de la proportion et l'esthétique de la lumière, et se propose de les relier d'une façon systématique. « La beauté visible, dit au début du xiiie siècle Guillaume d'Auvergne, se définit ou bien par la figure et la position des parties à l'intérieur d'un tout, ou bien par la couleur, ou bien par ces deux caractères réunis, soit qu'on les juxtapose sans plus, soit que l'on considère le rapport d'harmonie qui les réfère l'un à l'autre. » Ainsi se trouvent confrontées l'esthétique musicale et l'esthétique de la couleur, mais également leurs transpositions métaphysiques, la théorie des proportions ou de la composition du multiple dans l'unité et la théorie de la lumière spirituelle comme éclat de la forme. La synthèse est présentée au xiiie siècle par Albert le Grand : la proportion est la matière, la lumière, la détermination formelle de la substance. Ainsi, l'aristotélisme et le plotinisme se rejoignent en une cohérence inattendue ; leur union est le plus haut moment de la pensée esthétique du Moyen Âge.
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Écrit par
- Daniel CHARLES : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII
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