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ESTHÉTIQUE Histoire

La Renaissance

À l'idée – propre à l'époque romane – d'un déchiffrement de la Nature, tenu pour seul susceptible de restituer aux apparences leur armature secrète, l'esprit de l'art gothique avait opposé le primat de l'observation des réalités physiques ; mais le débat essentiel, celui du fonctionnel et de l'ornemental, témoignait, vers la fin du Moyen Âge, du caractère second, ancillaire, de l'art comme tel, au regard de la vie contemplative.

C'est à la laïcisation de l'art que procède, à Florence d'abord, le Quattrocento ; avec la peinture de chevalet, le naturalisme déplace le champ d'exercice de l'artiste de l'invisible au visible, du contemplé à l'agi. Si la Nature vaut par sa présence et non plus en tant que symbole d'une transcendance, alors l'intérêt porté aux surfaces visibles ne risque plus de faire oublier Dieu ; d'où le sensualisme et la gratuité des recherches plastiques. Contre l'aristotélisme padouan, une flambée néo-platonicienne s'allume, principalement autour de Marsile Ficin ; c'est l'ère des ludi matematici et de l'application des sentences pythagoriciennes. C'est aussi et surtout l'époque des théories de la perspective : on assiste à une mathématisation de l'art, qui triomphe avec Léonard de Vinci (1452-1519).

Leon Battista Alberti - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Leon Battista Alberti

L'esthétique d' Alberti (1404-1472) est particulièrement représentative du syncrétisme de la Renaissance italienne : on y décèle en effet les trois composantes essentielles (médiévale, néo-platonicienne et scientiste) du nouvel esprit. De l'aristotélisme et du thomisme, Alberti conserve la réduction du problème du Beau à une connaissance, à un savoir rationnel, et l'idée de l'imitation comme participation du créateur à l'Acte suprême, à la Nature naturante. Du néo-platonisme, il retient le thème de la cosmologie des nombres. À la science moderne, enfin, il emprunte le principe d'une application rigoureuse des découvertes de l'optique : la première partie du De pictura (1435) développe la notion de perspective ; la peinture, pour Alberti, « ne sera pas autre chose que l'intersection de la pyramide visuelle suivant une distance donnée, le centre de la vision étant placé et les lumières disposées sur une certaine surface représentée avec art par le moyen des lignes et des couleurs ». De même, dans la seconde partie du traité, une triple dimension de la beauté picturale se dégage : ce qui importe, c'est la circonscriptio ou art du dessin, du trait, du contour, donc de la forme plastique comme telle ; la composition, ou pondération de l'agencement des masses ; la réception des couleurs, ou établissement des reliefs et du clair-obscur par l'utilisation du blanc et du noir.

Mais, dans le De re aedificatoria (1452), Alberti livre le fond de son esthétique, avec la définition négative de la beauté comme concinnitas (harmonie) : « La beauté est une certaine convenance raisonnable gardée en toutes les parties pour l'effet à quoi on veut les appliquer, si bien que l'on n'y saurait rien ajouter, diminuer ou changer, sans faire étonnamment tort à l'ouvrage. » Et aux trois catégories déjà énoncées dans le De pictura répondent, pour l'architecture, les trois exigences de numerus (recherche des proportions parfaites), finitio (arabesque ou arrangement « organique » des masses), collocatio (ordonnance rigoureuse des éléments les uns par rapport aux autres). La forme, qui dépend du numerus et de la collocatio, doit être rendue vivante par la finitio : ce rationalisme est déjà un classicisme.

C'est également un humanisme : dans le De statua (1434), Alberti insiste sur la nécessité d'« exécuter les travaux de façon qu'ils paraissent aux spectateurs ressembler le plus possible aux corps[...]

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

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Leon Battista Alberti - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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