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ESTHÉTIQUE Histoire

De Descartes à Kant

La fin de la Renaissance est marquée par le mysticisme (sainte Thérèse d'Avila, saint Jean de la Croix) ou l'étrange (Paracelse, Böhme) ; par des poétiques de la violence (comme celle de l'éclatement de l'ordonnance chez Dürer), par l'austérité initiale de la Contre-Réforme, puis par le maniérisme et enfin par le baroque. Le classicisme ne s'impose qu'au xviie siècle, d'abord dominé par les arts poétiques inspirés d'Aristote, puis conscient de lui-même avec Descartes.

Non que ce dernier ait constitué une esthétique : la structure de son système lui interdisait peut-être de faire se rejoindre vraiment en l'homme la perception et le jugement, et par là de rendre pleinement compte de l'attitude humaine en face de l'art. Mais sa philosophie, qui entreprend de généraliser le recours à la raison pour fonder l'ensemble des sciences, ne manque pas d'englober l'art comme tel dans cette généralisation. Pour partielle et provisoire qu'elle soit, l'esthétique cartésienne, qui commence par un relativisme, s'achève dans un rationalisme : car les différentes définitions de l'art et du Beau doivent pouvoir se soumettre, au même titre que la Nature, à une règle de raison qui permette d'en opérer la déduction. Ainsi se trouve étayé l'effort de Boileau pour joindre le Beau et le Vrai dans le retour à une origine commune – raisonnable – des arts et des sciences, en même temps qu'annoncée la tentative de Batteux : Les Beaux-Arts réduits à un même principe, celui de l'« unité dans la multiplicité » ; mais ce principe comprend aussi bien l'exigence purement théorique, géométrique, d'une reprise des figures particulières sous un schème général et générateur, que celle, sociologique avant la lettre, de la réduction des diverses bienséances d'une même époque à un unique réseau de conventions simples. Lessing (Laocoon, 1756) démêle cet entrelacs : il s'agit, avant tout, de ne point confondre la part de la raison et celle de l'insertion historique ; mais Dubos (Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture, 1719) développe la théorie des conditions – géographiques, climatiques – d'apparition de l'œuvre d'art, montrant ainsi la voie non seulement à Montesquieu, mais à l'esthétique scientifique du xixe siècle.

Par son souci de fonder en raison la science comme telle, Descartes n'avait pas seulement déclenché une rationalisation de l'esthétique. Sa recherche d'un tel fondement renvoyait au cogito, c'est-à-dire à l'affirmation de la certitude du sujet comme garantie de toute objectivité, et à l'idée que le jugement suppose l'« assentiment de la volonté ». Que l'art, comme spécimen de l'Être, dépende du sujet en tant que celui-ci est certain de ce qu'il affirme, c'est-à-dire que la description de la conscience esthétique importe davantage, désormais, que celle des œuvres elles-mêmes ; que l'esthétique relève dorénavant de la psychologie et non plus de l'ontologie – telle est la conséquence capitale, qui va peser de façon décisive sur tous les développements ultérieurs. L'esprit de finesse s'oppose, selon Pascal, à l'esprit de géométrie ; de façon comparable, Roger de Piles (1635-1709) se montre soucieux du vrai singulier contre le vrai idéal d'un Le Brun (1619-1690). C'est à une définition sensible du style qu'aboutit le père André (Essai sur le Beau, 1741) : « J'appelle style une certaine suite d'expressions et de tours tellement soutenue dans le cours d'un même ouvrage, que toutes ses parties ne semblent être que les traits d'un même pinceau ou, si nous considérons le discours comme une espèce de musique naturelle, un certain arrangement de paroles[...]

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

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