ESTHÉTIQUE Histoire
Esthétiques du XXe siècle
Sans doute est-il malaisé de dresser un bilan de l'esthétique du xxe siècle. De l'extrême subjectivisme à l'extrême objectivisme, cependant, les doctrines tendent à se rejoindre ; si bien que l'on voit se profiler, à partir de cette conjonction, la possibilité d'un dépassement. C'est sur ce dernier point que nous insisterons.
Les esthétiques de l'objet
Un premier groupe de théories envisage l'esthétique d'un point de vue résolument gnoséologique. Discipline positive, l'esthétique renverrait aux différentes sciences humaines, dont elle serait appelée à utiliser tour à tour les diverses méthodes, sans avoir cependant à se plier entièrement à aucune. Elle se voudrait à ce titre, plutôt qu'une science humaine parmi les autres, un modèle possible pour les sciences humaines ; et l'objet de son enquête serait le monde des structures, ou plus précisément de la genèse des structures – pour autant que l'on estime devoir maintenir une distinction entre ces deux termes.
C'est, dans l'ensemble, à Auguste Comte que l'on doit faire remonter cette tendance. Le Cours de philosophie positive n'enseignait-il pas, dès 1842, que « le caractère profondément synthétique qui distingue surtout la contemplation esthétique, toujours relative aux émotions de l'homme, dans les cas mêmes qui semblent le plus s'en éloigner, ne saurait la rendre pleinement compatible avec le genre d'esprit scientifique le mieux disposé à l'unité, comme étant le plus empreint d'humanité » ? De Taine et de Guyau à Lalo (L'Esthétique expérimentale contemporaine, 1908), de l'Ästhetik de Lipps (1906) et de la Kunstwissenschaft de Dessoir (1906) à l'Idea de Panofsky (1924) et à l'Art et technique de Francastel (1956), le thème se précise, d'une compatibilité essentielle entre l'art et l'état de civilisation dans lequel il s'inscrit ; l'appréciation esthétique mettrait en jeu une pensée, non moins rigoureuse que les diverses épistémologies d'une même époque, et qu'il faudrait élucider à l'aide de critères précis qui lui correspondent.
Dans l'hypothèse la plus radicale, l'œuvre serait à analyser le plus techniquement possible, comme la résolution d'un certain problème ; ce qui suppose qu'il existe une certaine distance entre la formulation du problème et sa résolution, entre la décision d'œuvrer et le résultat. La tâche de l'esthétique serait alors de combler cette distance, d'opérer la liaison entre les termes et la solution ; cela, si possible, à l'aide d'un langage discursif, c'est-à-dire véhiculant le sens, et capable de transférer, de proposition en proposition, l'intégralité de ce qui est donné au départ. On suivrait alors le processus d'effectuation de l'œuvre, celle-ci tirant éventuellement tout son sens du langage que tient à son propos l'esthéticien. Dans certaines formes d'art, en effet, le créateur est son propre esthéticien : il est seul à pouvoir commenter son œuvre, parce que celle-ci est entièrement formalisée (cas des musiques algorithmiques selon P. Barbaud, 1968).
Voisine, mutatis mutandis, d'une telle normativité, l'esthétique de tendance marxiste, préoccupée de vérifier que l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre (Marx), est conduite, chez un Lukács (Prolégomènes à une esthétique marxiste, 1957), à prôner la forme comme requisit de la perfection d'une œuvre, d'abord saisie comme exprimant la situation socio-historique d'une classe ou d'une collectivité. Le risque est évidemment de considérer l'art comme un « exposant » plutôt que comme un « ferment » de la société (Adorno) ; c'est le prix que[...]
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Écrit par
- Daniel CHARLES : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII
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