ESTHÉTIQUE Les catégories esthétiques
Nature des catégories esthétiques
L'éthos
La catégorie se saisit d'abord dans l'expérience esthétique comme une impression affective (émotionnelle ou sentimentale) éprouvée intimement par le contemplateur de l'œuvre d'art. C'est la raison pour laquelle M. Dufrenne, dans sa Phénoménologie de l'expérience esthétique, parle de « catégories affectives ». Ressentie nécessairement dans l'âme d'un sujet, elle a donc, à ce titre, un aspect subjectif.
Cette réaction affective est spécialisée. Chaque catégorie a sa saveur propre. Le poétique ne se confond pas avec le satirique, ni le tragique avec le spirituel. Face au premier, on éprouve une impression d'élévation, prenante, douce, un peu éthérée, non sans quelque alanguissement ; avec le second, on se moque, mais d'une manière combative, avec un rire qui a quelque chose de la morsure ; avec le troisième, on ressent terreur et pitié par sympathie avec une résistance à un broiement qu'on sait inéluctable ; dans le dernier, on vit une sorte d'allégresse intellectuelle, où l'on jouit d'un dynamisme à la fois léger et d'une exacte précision. Et même des catégories très proches, voire des nuances d'une même impression générale, gardent leur individualité propre et irréductible : on ne sent pas de la même manière un gracieux en sobre élégance, un gracieux en suavité, un gracieux en préciosité ou un gracieux en mignardise.
Le terme d'éthos désigne actuellement une ambiance affective de qualité sui generis : une catégorie esthétique est donc d'abord un éthos.
Mais bien des œuvres peuvent participer d'un même éthos ; combien de tragédies ne cherchent-elles pas la catégorie du tragique ? Et quand bien même il n'y aurait qu'une seule œuvre au monde à relever d'une catégorie rare, le nombre de celles qui pourraient l'y rejoindre est indéfini. La catégorie esthétique est donc un abstrait affectif de caractère générique.
En outre, celui qui ressent l'éthos peut être non seulement le contemplateur de l'œuvre (spectateur, auditeur...), mais aussi son auteur. Pourtant, la catégorie esthétique est bien un effet de l'œuvre ; mais ici, c'est un effet anticipé et cherché comme but.
Le système des forces structurées
La catégorie esthétique n'est pas uniquement subjective : une œuvre n'est pas comique parce qu'on rit ou dramatique parce qu'on tremble ; on tremble parce qu'elle est dramatique et on rit parce qu'elle est comique. On a bien souvent remarqué la nécessité d'une analyse de l'œuvre elle-même pour expliquer le type d'abstrait affectif qu'elle fait ressentir.
Quelques exemples le rendront plus sensible. Le joli suppose une sorte de continuité souple dans laquelle les oppositions possibles à l'intérieur de l'œuvre sont exclusives de toute rencontre brutale ou heurtée ; il suppose aussi une certaine perfection du détail : appelle-t-on joli l'arrangement en grandes masses de matériaux frustes ? Si le joli est en jeu surtout dans le petit, le magnifique, lui, exige la grandeur (et l'étymologie même l'indique) ; pourrait-on admettre un magnifique mignon ? De plus, il veut une certaine profusion, une certaine splendeur et un certain éclat. Le hiératique est une catégorie du statisme et ne saurait être emporté ou tumultueux ; mais il donne une apparence sensible à un au-delà-du-sensible dont la valeur sacrée transparaît manifestement en lui ; son immobilité est immuable comme éternité.
L'analyse distingue donc des composants dans chaque catégorie esthétique ; mais il faut se garder d'y voir une simple addition ou juxtaposition. Les composants sont entre eux en interaction organique, et l'œuvre est le siège de tout un système de forces qui contribuent à lui donner une essence[...]
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Écrit par
- Anne SOURIAU : professeur, lycée de Sèvres
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