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ESTHÉTIQUE Les catégories esthétiques

La sensibilité aux catégories esthétiques

Mais artistes et amateurs ne se refuseraient-ils pas quelquefois à certaines catégories esthétiques ? On peut se demander si ces catégories ne poseraient pas encore des conditions, non plus à leur existence, mais à leur reconnaissance par l'homme ; si elles n'auraient pas des exigences non plus vis-à-vis de l'œuvre, mais vis-à-vis des créateurs et du public, pour pouvoir en être senties, comprises ou goûtées.

Les conditions caractérologiques

De nombreuses études ont bien été faites, qui, partant de ce donné que sont les œuvres ou de cet autre donné que sont les documents et témoignages permettant de connaître la personnalité de tel ou tel artiste, ont cherché le rapport entre ce qu'ils ont été et ce qu'ils ont fait (ou n'ont pas fait) ; car ce n'est point par un simple hasard que celui-ci ou celui-là a cultivé le fantastique, ou l'épique, ou le satirique, ou le comique, ou y est resté réfractaire. On a pris aussi le problème sous un aspect collectif, remarquant que les grands mouvements artistiques ou littéraires ont été souvent marqués par la présence de plusieurs créateurs ayant des manières de penser ou de sentir assez analogues. Mais il y a encore tout un champ d'étude ouvert pour une recherche en sens inverse, partant de la notion de catégorie esthétique : étant donné telle catégorie esthétique, quels sont les esprits capables de la mettre en œuvre ou de l'apprécier ?

Victor Hugo, par exemple, a bien – pour employer l'expression de Voltaire – la « tête épique », alors que Voltaire lui-même, malgré La Henriade, ne l'a pas ; Delacroix peut être épique en peinture, etc. Qu'est-ce alors qu'avoir la « tête épique » ? Il y faut un sens de la grandeur, un goût de la tension et du mouvement, car l'épique n'a rien d'une grandeur statique (aussi les esprits doux et calmes, ou délicatement sensibles, ou las, ne sont-ils pas aptes à l'épique ; ils peuvent réussir dans certaines catégories voisines, mais qui n'exigent pas le même dynamisme, comme le pathétique ; c'est ainsi le cas du Rāmāyana de Tulsī Dās, qui est, très consciemment et explicitement, une transposition en pathétique de ce que Vālmīki avait réalisé en épique, c'est-à-dire un retournement de l'épique vu en passion et non en action). Mais une grandeur dynamique peut avoir un dépouillement qui n'en fait plus exactement de l'épique ; il y a dans l'épique une profusion et une richesse d'éléments distincts et individualisés. Cela excluerait de l'épique ceux qui redoutent les œuvres littéraires à nombreux personnages, parce qu'ils s'y perdent. Et cependant l'épique a aussi, paradoxalement, une vision des choses simple, voire simplifiée ; la multiplicité s'y dispose en grandes masses (souvent par oppositions). Il faut donc, pour avoir la « tête épique », disposer d'un esprit synthétique et vigoureusement net.

L'influence sociale

Une tendance sociologisante et historicisante développée depuis le milieu du xixe siècle a souvent fait chercher si les conditions de vie d'une époque ne pouvaient pas orienter la sensibilité esthétique de cette époque dans certaines directions, soit directement, soit par un mécanisme de compensation. Mais ici, la recherche n'a encore été faite que dans un seul sens, partant d'une époque pour aller vers une forme de sensibilité ; une contre-épreuve utile prendrait le problème en sens inverse, à titre de vérification. Quand on voit, en effet, expliquer la floraison des catégories de la grâce paisible et raffinée, à telle époque, par le fait que ceux qui les cultivaient y goûtaient la douceur de vivre et appartenaient à des classes privilégiées menant une vie facile et polie, et, à telle autre époque, par le fait que ceux[...]

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