EXCEPTION ÉTAT D'
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On désigne par « état d'exception » la situation dans laquelle se trouve un État qui, en présence d'un péril grave, ne peut assurer sa sauvegarde qu'en méconnaissant les règles légales qui régissent normalement son activité. L'organisation de l'État, en période normale, est conçue de manière à réaliser un équilibre entre les exigences du pouvoir et celles de la liberté ; elle ne convient plus lorsqu'il s'agit de faire face à un danger exceptionnel et que le besoin d'efficacité et de rapidité passe au premier plan.
Si l'on s'entend aisément sur ces considérations, le problème est celui de déterminer l'attitude du droit devant le phénomène de l'état d'exception. Le droit peut-il réglementer cet état et prévoir les aménagements qui doivent être apportés aux institutions étatiques en vue de parer au danger ? Des difficultés considérables apparaissent. Elles tiennent au caractère même des situations d'exception qui, liées à l'histoire, échappent en grande partie aux prévisions humaines. Elles tiennent aussi à la valeur que l'État moderne attribue aux principes qu'il a posés en vue de défendre les droits individuels.
Et pourtant, le problème de l'état d'exception se pose à l'État démocratique avec acuité. Les situations d'exception n'ont cessé, dans la vie politique, de s'amplifier et de se diversifier. Aux hypothèses de guerre et d'insurrection, modalités traditionnelles des situations d'exception, se sont ajoutées les variétés multiples de crises économiques et sociales qu'a entraînées l'avènement de la société industrielle. Ces situations ont revêtu une importance et une fréquence telles que les frontières entre période normale et période de crise tendent à s'estomper. L'État démocratique a dû élaborer des solutions qui se concilient avec les principes fondamentaux auxquels il est attaché. Le sens donné à l'idée de démocratie, la réponse apportée au problème des rapports entre les organes du pouvoir, les traditions politiques et le degré de développement économique de l'État expliquent la variété des solutions retenues.
Le problème de la légitimité
État d'exception et État constitutionnel
Le problème de l'état d'exception est dominé par une apparente incompatibilité entre les exigences d'une situation d'exception et les principes qui caractérisent l'État constitutionnel.
On s'accorde à reconnaître que pour défendre l'État, en cas de péril grave, il faut laisser aux autorités politiques une grande liberté d'action, leur attribuer des pouvoirs étendus, de nature à restreindre et même à suspendre les droits individuels fondamentaux, et enfin réaliser une concentration des compétences autour de l'organe exécutif, considéré comme le plus apte par sa nature à assurer la sauvegarde du groupe social. Ces exigences élémentaires de l'état d'exception peuvent être aisément satisfaites dans les formes d'organisation étatique qui écartent une répartition rigide des compétences. Le problème de l'état d'exception est ignoré dans les régimes de pouvoir absolu, et ne soulevait pas de difficultés dans les démocraties socialistes ; il se pose essentiellement pour l'État constitutionnel libéral.
Les nécessités naturelles de l'état d'exception se heurtent en effet aux principes fondamentaux qui caractérisent l'État constitutionnel : le principe de légalité et le principe démocratique. L'État constitutionnel est un État de droit dont l'organisation et le fonctionnement sont minutieusement définis par la loi. Un ensemble complexe de formes et de procédures, une répartition subtile et une limitation stricte des pouvoirs protègent efficacement la liberté, mais se révèlent difficilement applicables en période de crise. L'État constitutionnel est aussi un État démocratique qui admet la participation du peuple au pouvoir, mais les modalités diverses de cette participation, qu'il s'agisse de démocratie représentative ou de démocratie directe, sont inutilisables quand apparaît une situation d'exception.
Le fondement de l'état d'exception
Pour justifier l'état d'exception, plusieurs attitudes ont été adoptées. On a souvent voulu rester réticent à son égard, en ne l'admettant que sur le plan de l'opportunité politique. Sans prétendre qu'il faille sacrifier l'intérêt de l'État à la rigueur de certains principes, on estime que ce sont seulement des considérations politiques qui rendent excusable la méconnaissance du droit par les autorités gouvernementales en période de crise et que les mesures d'exception, si elles peuvent être absoutes en fait, restent irrégulières. Cette position, souvent affirmée dans les pays anglo-saxons, semble trop ignorer l'importance revêtue aujourd'hui par les situations d'exception.
Dans une conception plus réaliste, on a voulu recourir au concept de nécessité. Certaines situations de fait entraîneraient par elles-mêmes la disparition de l'ordre juridique normal et justifieraient toute action accomplie sous leur emprise. De même que l'homme, conduit par une impérieuse nécessité, peut user de moyens légalement interdits pour sauver son existence, de même l'État pourrait méconnaître les limites légales qui s'imposent à lui quand il se trouve dans une situation exceptionnelle. Cette conception, longtemps en honneur chez les juristes allemands, qui admet que, dans certaines circonstances, le droit perd son empire, paraît contestable et excessive en raison des abus qu'elle peut autoriser.
Il semble plus exact de fonder l'état d'exception sur l'idée d'une légalité exceptionnelle, propre aux périodes de crise, ainsi que sur le devoir fondamental des autorités politiques d'assurer en toutes circonstances le maintien de l'ordre public. Le droit élaboré pour des périodes normales ne peut être le même, dans l'esprit de ses auteurs, que celui qui doit régir les périodes exceptionnelles, et le premier devoir de l'autorité gouvernementale est bien d'assurer le fonctionnement de l'État. L'état d'exception ne se situe pas en dehors du droit, il peut être compatible avec l'État constitutionnel. C'est un problème d'aménagement qui se pose.
L'aménagement de l'état d'exception
Il faut, avant tout, prendre parti sur la question du mode d'expression de l'état d'exception. Convient-il de le traduire dans une réglementation textuelle ou doit-on le considérer comme un principe juridique à caractère général et susceptible d'adaptations variées ? L'hésitation est permise. Une organisation textuelle, qui doit normalement se situer au niveau constitutionnel, a le mérite de lever les doutes et les incertitudes ; elle permet de formuler plus rigoureusement les limites d'une institution qui est dangereuse pour la liberté par l'ampleur des pouvoirs qu'elle reconnaît à l'autorité gouvernementale. Toutefois, la reconnaissance formelle de pouvoirs d'exception peut conduire à un usage abusif et, surtout, on peut estimer qu'en raison de son caractère peu prévisible l'état d'exception ne peut donner lieu à une réglementation textuelle. Il semble préférable de voir dans l'état d'exception un principe juridique à caractère général, ce qui conduit à reconnaître, en la matière, un rôle fondamental au juge, qui aura, en définitive, la mission de fixer, en fonction des situations concrètes, les contours de l'institution.
Quelle que soit la traduction juridique retenue, elle doit respecter certaines directives qui découlent du caractère même de l'état d'exception. La situation d'exception, c'est-à-dire les hypothèses dans lesquelles l'usage de pouvoirs exceptionnels sera autorisé, doit être conçue de manière à recouvrir les formes multiples des crises modernes. On peut la définir comme une situation anormale et grave qui ne saurait raisonnablement être régie par le droit applicable aux situations normales. L'état d'exception autorisera des pouvoirs exceptionnels, mais non arbitraires : ceux-ci seront fixés d'après la gravité et la nature du péril qui menace l'État ; ils seront limités dans leur objet et dans leur but ; ils ne devront pas dépasser ce qui est strictement nécessaire à l'accomplissement de la mission. Les mesures d'exception seront normalement prises par l'autorité exécutive, mais il est conforme à la logique démocratique que les assemblées représentatives puissent être associées à la mise en œuvre de l'état d'exception. Enfin, on ne saurait trop souligner, en ce domaine, l'importance du contrôle juridictionnel, qui paraît être le plus apte à maintenir l'état d'exception dans des limites juridiques. Ces données permettent de comprendre les divers aspects que présente, en pratique, l'organisation de l'état d'exception.
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Écrit par
- Jean-Louis de CORAIL : professeur à l'université de Paris-II
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