ÉTAT (notions de base)
Pourquoi obéit-on ?
Le contrat théorisé par Thomas Hobbes semble pourtant laisser entièrement de côté une question essentielle : celle de l'obéissance de la majorité des individus à un petit nombre d’hommes de pouvoir. Aucun penseur n’a mieux décrit l’état paradoxal de cette obéissance qu’Étienne de La Boétie (1530-1563), dans l’unique ouvrage qu’il nous a laissé, De la servitude volontaire. « Si deux, si trois, si quatre cèdent à un seul ; c’est étrange, mais toutefois possible [...] Mais si cent, si mille se laissent opprimer, dira-t-on encore que c’est de la couardise, qu’ils n’osent se prendre à lui, ou plutôt que, par mépris et dédain, ils ne veulent lui résister ? » Tout au long de ce texte étonnant écrit à l’âge de dix-huit ans, La Boétie creuse l’énigme sans jamais la résoudre, sinon en supposant que « c’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge ».
L’obéissance d’une immense majorité à l’État est d’autant plus incompréhensible qu’ainsi que le remarquait le juriste et politologue Georges Burdeau (1905-1988) « personne n’a jamais vu l’État » (L’État, 1970). On regroupe sous ce nom des hommes de pouvoir, des institutions, des administrations, des fonctionnaires, une armée, des forces de police, bref tout un appareil dont on ne perçoit jamais que quelques facettes. Autrement dit, l’État est une idée, une représentation dans la tête des humains, « il n’existe que parce qu’il est pensé ». Sans aller jusqu’à parler de « servitude » comme le fait Étienne de La Boétie, il nous faut faire l’hypothèse d’un accord plus ou moins conscient des citoyens à accepter au-dessus d’eux une instance souveraine décidant pour partie de leur existence. Cet accord tient à la « légitimité » que les individus reconnaissent à l’État qui les gouverne. La philosophe et sociologue Hannah Arendt (1906-1975) va dans le même sens : « Tout pouvoir est de consentement », écrit-elle dans son livre Du mensonge à la violence (1972).
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Écrit par
- Philippe GRANAROLO : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires
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