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ÉTAT, sociologie

Selon Max Weber, « l'État moderne est un groupement de domination de caractère institutionnel qui a cherché (avec succès) à monopoliser, dans les limites d'un territoire, la violence physique légitime comme moyen de domination et qui, dans ce but, a réuni dans les mains des dirigeants les moyens matériels de gestion ». Amorcer une présentation de l'État par le type idéal que Max Weber donne de l'État moderne dans Le Savant et le politique ne signifie pas que nous tenons cette définition pour définitive. Cependant, en posant l'État moderne comme un groupe possédant une autonomie de direction et de réglementation et résultant de trois processus conjoints de monopolisation, de bureaucratisation et de légitimation, Weber arrache l'État aux abstractions philosophiques et juridiques qui l'assimilent à une création contractuelle, à une entité transcendante ou à un cadre normatif. Il lègue ainsi à la sociologie les principaux instruments de compréhension de l'étatisation des sociétés occidentales qui s'est réalisée, justement, sous l'évidence d'une différenciation de l'État et de la société. Le fonctionnement routinier de l'État, de même que la description des moments d'appropriation et de socialisation des moyens de domination desquels il est issu ont suscité des analyses et des observations qui échappent désormais à la définition wébérienne, mais cette dernière permet encore d'introduire la plupart de ces travaux, aussi divers soient-ils.

L'État et le « mécanisme monopoliste »

Que l'État dispose du monopole de la violence physique légitime n'est guère contesté, mais quand l'auteur d'Économie et société renvoie plus ou moins aux circonstances les autres moyens d'administration pour ne définir ce groupement que par son ultime moyen de domination, il suggère un processus de monopolisation qui, focalisé sur la concentration des moyens coercitifs, suscite questions et amendements.

Tout d'abord, il s'agit d'une question de principes pour les durkheimiens et les fonctionnalistes puisque, l'État étant pour Durkheim un produit de la complexité de la division du travail social, sa construction se pose moins en termes de monopolisation que de fonctionnalité. Ainsi toutes les fonctions de l'État sont-elles significatives, mais il importe surtout, pour l'auteur de La Division du travail social, que les « matières » et les « organes » absorbés par l'État se cantonnent, conformément d'ailleurs à ce qu'il estime être leur inclination, à ce qui préside à la vie générale.

Se pose ensuite un problème logique et historique que surmonte Norbert Elias lorsqu'il élabore un « mécanisme monopoliste » instaurant une dépendance mutuelle entre l'établissement des divers monopoles, et particulièrement du monopole fiscal et du monopole coercitif. Déclenché en France à la suite d'une concurrence qui ne laissa plus subsister qu'une demi-douzaine de « maisons » rivales dès le xive siècle, ce mécanisme, qu'il nomme « dynamique de l'Occident », fut favorisé par une monétisation des échanges facilitant la levée de l'impôt et fut attisé, comme le note également Charles Tilly, par des guerres « internes » et externes exigeant des moyens inédits. Vers le début du xvie siècle, lorsque le roi de France n'eut plus vraiment de rivaux, le rassemblement territorial s'accompagna d'une monopolisation progressive des moyens de domination tels que l'armée, la justice, l'impôt, la monnaie, la législation. C'est alors que, sous l'effet des nécessités pratiques de son propre entretien, le monopole changea graduellement de nature et, selon Elias qui rejoint ici Weber, se socialisa grâce à une bureaucratisation qui le détacha de la maison royale. Établi à propos de la France[...]

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Écrit par

  • : agrégé de sciences sociales, chargé de cours à l'université Paris-X-Nanterre

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