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ÉTATS LIMITES ou BORDERLINE

Vers l'étude de constantes psychopathologiques

Au-delà de ces traits cliniques manifestes, la psychanalyse européenne explorera le développement de la relation d'objet dans l'organisation borderline. Après Helen Deutsch, qui décrit en 1942 les personnalités « comme si » (as if), Donald W. Winnicott, en Angleterre, étudie le « faux self » de sujets dont l'apparente adaptation à la réalité aurait valeur de structuration défensive contre la régression. Il attribue cette évolution à une perturbation du holding maternel qui altère la constitution d'un espace transitionnel de jeu et d'illusion entre l'enfant et sa mère, et compromet la mise en jeu de l'objet transitionnel (« Objets transitionnels et phénomènes transitionnels », repr. in De la pédiatrie à la psychanalyse, 1969). C'est ce « tenant lieu de sein interne », ce « doudou », conditionnant pour l'enfant la consistance de ses limites propres et l'assurance de son existence au-delà des vicissitudes de la présence ou de l'absence de son premier autre, qui ferait défaut chez les sujets borderline. En France, Jean Bergeret (Psychologie pathologique, 1974) fait de l'organisation borderline une « astructuration » dont le défaut de maturation affective du moi résulterait d'un traumatisme psychique précoce qui précipite le sujet dans une pseudo-latence au moment de l'Œdipe et induit le développement d'une relation de dépendance anaclitique à l'autre. Pour André Green (« Le Concept de limite », 1976, repr. in La Folie privée, 1990) une double limite fait défaut dans ces pathologies, que ce soit la barrière du rêve qui sépare l'inconscient du préconscient ou celle qui différencie un dedans et un dehors (l'aire de jeu transitionnelle). Les sujets borderline sont la proie d'une dépression primitive, une « psychose blanche » qui rendrait tout deuil impossible par le fait d'une non-symbolisation de l'absence. Il sont proches de ces mélancoliques, dont Jacques Hassoun, (La Cruauté mélancolique, 1995) évoque le deuil inaccompli et éternisé d'un objet qui n'a pu être symboliquement perdu au moment du sevrage. Ce don en défaut est celui d'un manque symbolique. Faute d'une nomination de la perte, la mise en jeu de l'objet transitionnel (voire la mise en fonction de l'objet a, selon la terminologie de Jacques Lacan) se voit sérieusement compromise. Telle est la position borderline de ces sujets qui sont en proie au démenti de la valeur de l'échange symbolique, et livrés à cette pure culture mélancolique de la pulsion de mort que Sigmund Freud décelait au cœur du Malaise dans la civilisation.

— Rémi TEVISSEN

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