ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) La musique
Modernisme et tradition
Aaron Copland (1900-1990) a su garder à son œuvre le caractère qu'il lui souhaitait dès le début de sa carrière, celui d'être immédiatement reconnue comme américaine. Il s'y employa avec un bel éclectisme, tant dans les genres musicaux – le léger côtoyant le sublime – que dans une syntaxe qui sut passer allègrement du modernisme à l'académisme néo-classique. Le style cosmopolite qui fut le sien à l'instar de Stravinski, l'emploi de la polytonalité, l'utilisation du folklore des Amériques et du jazz l'entraînèrent, à partir de 1950, vers un sérialisme que Leonard Bernstein, son élève, considérait comme une trahison. C'est pourtant de cette période que datent, à la suite de la Fantaisie pour piano (1955-1957), où il tentait la plus subtile synthèse des techniques sérielle et tonale, quelques-unes de ses œuvres les plus rares : Connotations pour orchestre (1962) ; Music for a Great City (1964), issue de musiques de films évoquant New York ; Inscape pour orchestre (1967) ; et un duo pour flûte et piano (1971).
Avant de devenir le grand architecte de quatuors de son temps, Elliott Carter (1908-2012) a connu une lente évolution qui a retardé sa consécration jusqu'à la fin des années 1950. Parti d'une formation néo-classique à laquelle Copland n'était pas plus étranger que Stravinski, il a poursuivi un chemin d'exigence à travers des recherches rythmiques plus décisives (modulation métrique chère à Charles Ives) et un refus délibéré du langage tonal, avant d'aboutir à un principe de caractérisation des instruments par un visage, une personnalité et un rôle différents. Ainsi estime-t-il que les détails du discours musical proviennent des réactions, combinaisons et oppositions des différentes trames qui se déroulent à travers l'œuvre. Cette sorte de théâtre musical inauguré dès le Deuxième Quatuor à cordes (1959) et le Double Concerto pour clavecin, piano et deux orchestres de chambre (1961) trouve son épanouissement dans le Concerto pour orchestre (1969), le Troisième Quatuor à cordes (1971), le Quintette de cuivres (1974, révisé en 1993), la Symphonie de trois orchestres (1976) et Syringa, pour mezzo-soprano, basse et onze instruments (1978), avant d'arriver à Penthode, pour cinq groupes de quatre instruments « spatialisés » (1985), et aux concertos pour hautbois (1988), pour violon (1990), pour clarinette (1997) pour violoncelle (2001), pour cor (2007) et pour flûte (2009). Carter a toujours recherché l'architecture formelle de l'œuvre.
Avec John Cage (1912-1992), l'idée de hasard faisait son entrée dans la musique, au niveau de l'exécution mais aussi à celui de la composition, entraînant dans son sillage une conception neuve du silence et l'imprévisibilité du résultat sonore. Ses lectures du livre d'oracles taoïste I Ching (« Livre des mutations ») furent décisives, puisqu'il confia à ce livre des décisions touchant le contenu et la progression de sa musique, décisions prises d'ordinaire par le compositeur lui-même. Il s'agit d'un procédé qui, en opposition complète avec la technique de composition traditionnelle, érige en principe l'imprévisibilité de l'œuvre musicale. Dans sa pièce pour piano Music of Changes (1951), il dresse ainsi tout d'abord des tableaux de sons, de bruits, de pauses, de volumes et de durées ; il laisse ensuite le hasard décider de la relation entre ces divers éléments, grâce aux jets de pièces de monnaie. Les résultats sont reportés sur un schéma préconçu de mesures, puis le hasard de nouveau détermine la densité des agrégats. Cependant, la tentative la plus radicale de John Cage de suivre entièrement les lois du hasard se manifeste sans doute dans une pièce dont le titre se réduit à l'indication de sa durée –[...]
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Écrit par
- Juliette GARRIGUES : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)
- André GAUTHIER : historien d'art et musicologue
Classification
Médias