ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) La philosophie
La période d'après guerre et la situation contemporaine
La vision scientifique du monde
L'histoire et l'horizon intellectuels américains restent néanmoins étroitement liés aux apports et aux influences qui ont fini par s'y fondre et s'y transformer. Les migrations, l'exil ont ce pouvoir de transcender les conditions qui leur donnent naissance en un nouvel élan dont les conséquences sont rarement prévisibles. La Seconde Guerre mondiale a vu de nombreux intellectuels – écrivains, artistes, philosophes et hommes de science – quitter l'Europe pour les États-Unis. Ce mouvement, qui a commencé dès les années 1930, s'est amplifié pendant toute la durée de la guerre. Il a eu pour effet une radicale transformation du paysage intellectuel. La science américaine en a largement bénéficié, ainsi que la philosophie et les arts.
En philosophie, l'élément le plus marquant a été le nouveau départ donné au cercle de Vienne, courant qui avait vu le jour en Autriche, à partir de 1923, autour de Moritz Schlick, Rudolf Carnap et Otto Neurath. La philosophie analytique, qu'on tient généralement pour typique du monde anglo-saxon, en est directement issue. Elle a largement éclipsé le pragmatisme, pendant un temps assez long temps, bien que celui-ci fût plus spécifiquement lié aux conditions qui avaient vu naître une philosophie originale sur le sol américain. Rudolf Carnap (1891-1970), qui fut la figure centrale de ce mouvement, était allemand ; il avait d'abord émigré en Autriche afin d'y trouver des conditions favorables à une philosophie de type scientifique, dans la ligne de l'empirisme d'Ernst Mach. Le choix des États-Unis, au moment où les nazis annexèrent l'Autriche, répondit aux mêmes motifs. Carnap, et avec lui Carl Hempel, qui joua également un rôle important dans le devenir américain du cercle de Vienne, pensaient que le pragmatisme, en raison de son inspiration scientifique et expérimentale, pouvait offrir un terrain favorable au développement de leurs propres idées. De fait, certains philosophes pragmatistes, comme Charles Morris, les accueillirent favorablement. De plus, des rapports s'étaient déjà noués entre le cercle de Vienne et un jeune philosophe américain dont l'influence n'allait pas tarder à croître : Willard Orman Van Quine (1908-2000), qui avait rendu visite plusieurs fois à Carnap, à Vienne, avant que celui-ci n'émigrât aux États-Unis. Plusieurs figures dominent cette période nouvelle et féconde, qui avait initialement intégré, sur un plan plus spécifiquement logique, l'héritage de Frege, de Russell et du jeune Wittgenstein, dont le Tractatus logico-philosophicus avait profondément marqué les idées du cercle de Vienne. Outre Rudolf Carnap et Carl Hempel, il y eut le jeune Quine, dont les travaux allaient introduire une faille dans la doctrine de l'empirisme logique, et un autre jeune philosophe, Nelson Goodman (1906-1998), auteur d'une thèse qui reprenait à nouveaux frais l'entreprise de Carnap dans Der logische Aufbau der Welt (1938, trad. franç. La Construction logique du monde, 2002) : A Study of Qualities (1940), qui donnerait un peu plus tard The Structure of Appearance (1951, trd. franç. La Structure de l'apparence, Vrin, 2005).
Au cœur des évolutions sur lesquelles les contributions respectives de Quine et de Goodman n'allaient pas tarder à déboucher figurent plusieurs problèmes majeurs qui concernent à la fois le langage, la science et la philosophie. Les questions touchant au langage – étroitement liées à ce qu'on a appelé le « tournant linguistique » – concernent notamment le statut de la signification et la manière dont les mots parviennent à s'ancrer dans le monde. La conviction dominante, à cet égard, aura été l'impossibilité de transcender le langage dans le langage et au moyen[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean-Pierre COMETTI : professeur honoraire des Universités
Classification
Média