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ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Le territoire et les hommes) Religion

Une séparation assouplie des Églises et de l'État

Au vu de l'imprégnation religieuse de la culture américaine, qui va du serment sur la Bible (fermée) du président nouvellement investi jusqu'à la mention de Dieu sur les billets verts, on pourrait imaginer des liens étroits entre les institutions religieuses et l'État. Il n'en est rien. Outre-Atlantique, c'est un régime de séparation stricte qui prévaut, beaucoup plus radical que ses équivalents européens, y compris en France. Ce régime trouve sa source dans le premier amendement de la Constitution américaine, ratifié en décembre 1791, qui interdit l'établissement d'une Église d'État. Cet article stipule que « le Congrès ne promulguera pas de loi relative à l'établissement d'une religion, ou de loi qui empêcherait le libre exercice (d'une religion) ». La séparation entre les Églises et l'État en découle, mais sans être explicitement mentionnée.

C'est dans une lettre de Thomas Jefferson aux baptistes de Danbury, en 1802, que la formule surgit. Elle explicite le premier amendement sous la forme d'un « mur de séparation » (wall of separation) entre les Églises et l'État. L'expression « mur de séparation », bien que contestée, a depuis fait florès, tout comme l'importance normative d'une « séparation » entre les Églises et l'État, qui entre définitivement dans la jurisprudence de la Cour suprême en 1947, à l'occasion du cas Everson versus Board of Education. C'est au nom de cette séparation qu'en 1962 la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelles la prière et les lectures religieuses dans les écoles publiques (arrêt Engel versus Vitale), suscitant la fureur d'une partie des Églises chrétiennes américaines, à commencer par les Églises évangéliques, fortes de leur culture prosélyte, conversionniste et moralement conservatrice. C'est également en vertu de cette séparation que, depuis le fameux « procès du singe » à Dayton (Tennessee), en 1925, la biologie évolutionniste et le darwinisme se sont progressivement imposés à l'école publique, en dépit des contestations et les contre-attaques régulières des tenants du créationnisme, qui cherchent à remettre au goût du jour leur vision théocentrée de la biologie au travers des théories de l'Intelligent Design. Cette théorie dite du « dessein intelligent », postule que l'évolution du vivant est guidée par une intelligence supérieure. Ses défenseurs sont montés en puissance dans les années 1990, après que le créationnisme a été retiré, depuis 1987, de tous les manuels scolaires américains. Bien que leur combat, très médiatisé, fasse craindre une contre-offensive religieuse massive, il témoigne plutôt, en réalité, de la situation de marginalité qui est désormais celle des créationnistes. Dans les écoles publiques américaines, Darwin a gagné, et sans contestation !

Le mur de séparation affirmé depuis l'indépendance américaine va si loin qu'un financement d'établissements scolaires chrétiens privés, tel qu'on le pratique dans plusieurs pays d'Europe, apparaît impensable outre-Atlantique.

Cette séparation forte n'empêche pas cependant divers activistes religieux, particulièrement bruyants dans les rangs protestants évangéliques et fondamentalistes – qui rassemblent près d'un tiers des Américains –, de souhaiter rechristianiser les institutions américaines. Dieu aurait été à leurs yeux injustement relégué à une place subalterne, indigne de l'histoire longue des États-Unis, nouvel Israël béni par le Tout-Puissant. Une initiative prise par le premier gouvernement de George W. Bush fils à partir de janvier 2001 a en partie répondu à ces protestations, écornant le principe de séparation prôné par Thomas Jefferson : il s'agit de la décision fédérale de[...]

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Écrit par

  • : agrégé d'histoire, chercheur au CNRS, laboratoire Groupe sociétés, religions, laïcités

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