ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE Vue d'ensemble
Sans doute en raison de la richesse de son expérience, la société américaine est peut-être de toutes celle qui présente les contrastes les plus prononcés, et dans tous les domaines. Ainsi le régime politique des États-Unis a-t-il été depuis près de deux siècles admiré et imité comme le modèle de la démocratie ; mais il en est peu aujourd'hui dont les adversaires s'évertuent avec autant d'acharnement à dénoncer toutes les infractions, et on lui reproche précisément d'empêcher l'avènement d'une effective démocratie. Des générations ont expérimenté les vertus du melting-pot, l'incomparable aptitude de la société d'outre-Atlantique à fondre en un tout unifié les apports les plus disparates, venus de toutes les contrées d'Europe ; or aucun pays n'est aujourd'hui confronté à des problèmes raciaux plus complexes, plus difficiles à résoudre. Le respect quasi religieux de la loi et des décisions de justice, hérité d'une tradition plusieurs fois séculaire, ne préserve pas les États-Unis des déchaînements de la violence, sous toutes ses formes, de la haine de race à la criminalité vulgaire. Nulle part le développement de la ville, cette expression de l'homme en société, n'avait atteint pareil point de perfection, et voilà que les villes américaines présentent les symptômes d'une société malade. Même la position internationale des États-Unis apparaît pleine de contradictions : la puissance la plus forte du monde, qui n'a jamais été vaincue, a été tenue en échec, pendant des années par un petit peuple d'Asie. Quant à sa politique étrangère, jugée sur ses principes et ses déclarations comme la plus idéaliste qu'on connaisse, ses adversaires objectent qu'il n'en est pas de plus cynique dans son inspiration, de plus brutale dans son exécution. De là vient que l'expérience américaine inspire des sentiments aussi contradictoires : c'est à la fois l'une des plus contrastées et des plus contestées de l'univers. Aucun pays, si ce n'est peut-être l'Union soviétique en son temps, n'a suscité tout ensemble autant de sympathies et autant de détestation.
Devant pareille profusion de paradoxes, l'esprit est tenté de renoncer à saisir la vérité des États-Unis : n'aurait-il d'autre recours que d'énoncer tour à tour des propositions contraires ? Peut-être est-ce la conséquence d'une originalité fondamentale. L'histoire des États-Unis ne ressemble à aucune autre. Sans doute est-ce vrai de toute histoire nationale, mais, dans la diversité des expériences, il n'en est guère qui se révèle aussi exceptionnelle. Elle est pourtant le produit d'une transplantation. Au départ, tout est importé d'Europe : les hommes, leur langue, les institutions, le droit et la coutume, les croyances, les mœurs, les goûts. Le germe de cette extraordinaire réussite, c'est un morceau d'Europe transporté en terre d'Amérique, comme toutes les sociétés coloniales, comme Israël aujourd'hui au cœur du Moyen-Orient. De ces apports, l'Amérique a fait quelque chose d'original qui n'avait de précédent ni n'aura d'équivalent nulle part. Fille de l'Europe assurément, mais fille émancipée.
L'expérience américaine, c'est la découverte d'un nouveau mode de relation entre l'homme et la nature. L'immensité de l'espace, la libre disposition d'un continent à peu près vide d'hommes, l'absence de droits de propriété héréditaires ont établi avec la terre un type de rapport fondamentalement dissemblable de celui qui unissait en Europe ou en Asie le sédentaire au sol qu'il cultive. La distance à franchir jetait un défi que toutes les générations ont relevé l'une après l'autre. À cet égard, l'histoire des États-Unis présente une étonnante continuité, de la découverte[...]
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Écrit par
- René RÉMOND : président de la Fondation nationale des sciences politiques
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