ÉTHIQUE, Baruch Spinoza Fiche de lecture
Du désir à la joie
Cette « ontologie » a des conséquences quant à la conception de l'homme, que le second livre (« Nature et origine de l'esprit ») va déployer. L'homme est défini non par la raison mais par le désir : « Le désir est l'essence même de l'homme. » Ce que l'homme désire est bon, et ce n'est pas le bien qu'il désire qui définit le bien. Persévérer dans son être (conatus) est son essence : tout ce qui accroît sa puissance d'être sera donc bon. La morale, ici, n'est en rien définie à partir d'un ordre transcendant à notre nature. Quant à la liberté, elle n'est qu'une illusion issue d'une fausse conception de l'acte volontaire : c'est l'ignorance des causes qui nous déterminent qui engendre cette méconnaissance (livre III, « Nature et origine des sentiments »). La vraie liberté, objet des deux derniers livres (« La servitude humaine ou les forces des sentiments » et « La puissance de l'entendement ou la liberté humaine »), repose sur la « connaissance du troisième genre » – différente de la connaissance par imagination (l'opinion), ou de la connaissance par les causes (la science). « Joie exempte de toute tristesse », « amour intellectuel de Dieu », elle nous permet de saisir tout dans son éternelle nécessité. Philosophie de l'affirmation du pouvoir d'être, libre de tout ressentiment, la pensée de Spinoza débouche sur une pensée de l'être-ensemble substantiellement anti-autoritaire instaurant la liberté, finalité de l'État, dans la paix. Parti du cartésianisme et de ses exigences de rationalité issues des sciences physiques, Spinoza débouche sur une sagesse dégrisée de toute illusion qui n'est pas sans annoncer Nietzsche, qui l'admirait.
Peu d'ouvrages auront eu autant de retentissements et suscité autant de lectures contradictoires : athéisme, panthéisme, déisme. On a également souligné la proximité de la philosophie de Spinoza avec la pensée hébraïque, ainsi qu'avec le panthéisme d'un Giordano Bruno. Les philosophes du romantisme allemand (Herder, Jacobi, Lessing...) débattent à leur tour de l'Éthique. La singularité de l'œuvre demeure intacte, et les lecteurs savants (Guéroult, Alquié, Deleuze...) ou anonymes n'ont pas fini d'interroger l'une des plus étonnantes productions que l'esprit humain ait pu engendrer.
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Écrit par
- Francis WYBRANDS : professeur de philosophie
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