ETHNO-HISTOIRE
La pratique de l'ethno-histoire, dans son acception la plus large, histoire des populations sans écriture, est ancienne ; les premiers ethno-historiens ont été, sans le savoir, les missionnaires-ethnographes de l'Amérique hispanique. Le mot, quant à lui, apparaît beaucoup plus tard, aux États-Unis, pour désigner un ensemble composite de méthodes de recherche résultant de la collaboration empirique d'ethnologues et d'historiens à une tâche commune. À l'origine, on trouve une loi fédérale de 1946 accordant un délai de six ans aux communautés indiennes qui se plaignaient de spoliations de terres (beaucoup remontaient au xviiie siècle), pour prouver leur droit de propriété. Au terme des enquêtes entreprises, l'histoire des populations indigènes avait fait de notables progrès et, en 1954, fut créée la Ohio Valley Historic Indian Conference ; rebaptisée un peu plus tard American Ethnohistorical Conference.
Dès 1964, l'ethno-histoire avait acquis un droit de cité international, puisque le XXXVIe Congrès international des américanistes, réunis en Espagne, avait organisé trois symposiums d'ethno-histoire. On peut considérer comme un des premiers ouvrages caractéristiques du genre l'étude monographique consacrée par Oscar Lewis à Tepoztlán, un village mexicain de l'État de Morelos, et publiée en 1951. Tepoztlán avait fait antérieurement l'objet d'un travail classique de Robert Redfield ; le réexamen (Tepoztlán Restudied) du problème par Lewis mit notamment l'accent sur les transformations (changes) de la société indigène depuis la conquête espagnole jusqu'au xvie siècle. De Redfield à Lewis, on pourrait dire qu'il y a passage de la synchronie à la diachronie, ou, si l'on préfère, d'une ethnologie du présent à une technologie historique, c'est-à-dire une ethno-histoire.
L'ethno-histoire a été d'abord la découverte de l'histoire par les ethnologues. Mais cette découverte n'alla pas sans difficultés, car elle impliquait le recours à des documents écrits d'origine blanche ou européenne, donc à la fois suspects d'impureté et peu accessibles à des hommes de terrain. Voulant, à côté de renseignements recueillis près d'informateurs oraux modernes, exploiter et étudier le degré de validité d'informations écrites héritées du passé, les ethnologues ont dû faire appel aux historiens. Au cours de la même période, des archéologues de l'Amérique andine, comme John Rowe, reconnurent que des chroniques et des archives administratives de l'époque coloniale espagnole pouvaient jeter une lumière récurrente sur l'Empire inca.
Pour beaucoup d'historiens, l'ethno-histoire a été l'ouverture d'un champ de recherche nouveau, celui des sociétés sans écriture. L'histoire traditionnelle, qui avait le culte du document écrit, s'est trouvée confrontée à une nouveauté radicale. Dans le seul cas de la Méso-Amérique, on dispose d'importantes sources indigènes écrites d'ethno-histoire, les codex pictographiques. Si les historiens n'ont pas d'emblée accepté le terme d'ethno-histoire, on peut cependant considérer comme typiques, dans les années 1960, les travaux de Charles Gibson sur les Indiens du Mexique à l'époque coloniale et ceux de Woodrow Borah sur la démographie historique du Mexique et de Saint-Domingue.
On saisira mieux le sens de l'ethno-histoire si on la rapproche de l'ethno-géographie, qui l'a précédée de peu, de l'ethno-linguistique et de l'ethno-botanique, ses contemporaines. Dans tous les cas, le préfixe « ethno- », comme l'a remarqué W. Sturtevant, est à peu près synonyme de folk en composition ; est « ethno- » toute étude de spécialité relative aux populations que l'ethnologie classique qualifiait de[...]
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Écrit par
- Jacques LAFAYE : professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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