ETHNOLOGIE Ethnoarchéologie
Réception en Europe
Ethnoarchéologie britannique et postmodernisme
En Europe – où les préhistoriens et protohistoriens ne pouvaient établir de liens directs avec l'ethnologie des populations européennes, au contraire de ce qui se réalisait aux États-Unis –, il fallut attendre les années 1980 et la publication d'une série d'enquêtes et de données ethnographiques africaines par l'archéologue anglais Ian Hodder (Symbols in Action) pour que les archéologues européens prennent conscience du champ d'observation extraordinaire qu'offrait l'ethnographie des sociétés traditionnelles.
Les enquêtes africaines de Ian Hodder se sont révélées superficielles, et nombreux sont ceux qui ont exprimé des réserves à leur égard. Cependant, elles étaient intelligemment sous-tendues par des idées et des concepts « postmodernes » qui, jusqu'à la fin des années 1990, se révélèrent stimulants et novateurs dans le petit monde des archéologues anglais et américains, peu rompus aux questionnements philosophiques. On y découvrait que la culture matérielle, non seulement reflétait la « culture » au sens anthropologique du terme, mais qu'elle en était aussi l'un des producteurs ; en d'autres termes, les objets matériels fabriquaient la culture.
Dès lors, de jeunes archéologues britanniques – frustrés par réduction fonctionnaliste de la culture à laquelle semblait conduire la New Archaeology et surtout désireux de se différencier de leurs aînés – déplacèrent leur regard vers les sociétés contemporaines (dont la leur), tout en s'efforçant de réhabiliter les dimensions symboliques des cultures et leur diversité. On se préoccupa alors du rôle de l'individu et de l'agency (concept dérivé de la théorie de la pratique de Pierre Bourdieu par le sociologue anglais Anthony Giddens) plutôt que de la cohérence et des régularités sociales auxquelles les archéologues américains s'étaient jusque-là intéressés. Une partie de l'archéologie britannique s'engagea dans différents montages théoriques, variant au gré de la traduction, en anglais, de plusieurs ouvrages français impliquant aussi bien le postmodernisme de François Lyotard que l'habitus et la théorie de la pratique de Pierre Bourdieu, l'histoire de longue durée de Fernand Braudel, le déconstructionnisme de Jacques Derrida, les structures des micropouvoirs du xviiie siècle et l'histoire de la sexualité, telles que les étudia Michel Foucault, etc. L'épistémologie élaborée par ce dernier à propos des institutions modernes a donné lieu à de surprenantes confusions sociologiques. En confondant, par exemple, des institutions préhistoriques (comme les monuments funéraires européens du IVe millénaire, construits collectivement mais utilisés et fréquentés par une élite porte-parole de la société) avec les institutions de la modernité (prisons ou hôpitaux psychiatriques construits par un État tout-puissant afin d'aliéner une partie de la société), certains en sont arrivés à concevoir les constructions monumentales du Néolithique comme des outils d'aliénation, alors qu'elles étaient, selon toute vraisemblance, ceux d'une très forte intégration sociale. Par ailleurs, et même lorsqu'elles s'appuyaient sur des observations attentives et détaillées, les règles contextuelles élaborées furent trop fréquemment appliquées à n'importe quel contexte archéologique : par exemple, sans qu'une différence soit faite entre communautés égalitaires de petite taille et sociétés hiérarchisées. La coupure scientifique qui existait entre archéologie et anthropologie sociale était trop profonde. La vraisemblance anthropologique ne fut pas toujours au rendez-vous, sauf chez ceux qui finirent par se convertir pleinement à l'anthropologie culturelle et sociale, comme Henrietta L. Moore ou Daniel Miller.[...]
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Écrit par
- Anick COUDART : directeur de recherche au C.N.R.S.
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