ETHNOLOGIE Ethnographie
Interprétations naturalistes et folkloristes
La définition d'Ampère, pourtant claire et scientifiquement bien fondée, reste sans lendemain. L'incertitude, concernant la définition de l'ethnographie, est due à Paul Broca, chirurgien et anthropologue français, et à d'autres biologistes de la seconde moitié du xixe siècle tels que l'Anglais James Cowles Prichard et l'Italien Enrico Morselli. Ils veulent réserver le terme « ethnologie » aux études purement raciales (anatomiques) et utilisent souvent le mot « ethnographie » comme synonyme d'« ethnologie », tout en étendant l'acception d'« anthropologie » aux études culturels, donc à l'ethnologie et, par conséquent, à l'ethnographie. La confusion qu'ils provoquèrent était plus que terminologique et paralysa (et paralyse encore) l'ethnologie, avec ses différentes branches, dont l'ethnographie, si bien que cette dernière n'a jamais pu obtenir la place universitaire et académique qui lui revient. Leur influence s'est reflétée surtout en France, jusqu'à la génération d'entre les deux guerres, où des personnalités telles que Louis Marin, Marcel Mauss et Marcel Griaule emploient le terme « ethnographie » dans le sens général d'« ethnologie ». L'imprécision terminologique des naturalistes eut également pour effet que, dans quelques pays, le terme « ethnographie » désigne encore de nos jours l'ensemble de l'ethnologie. Tel est le cas de la Russie des tsars, puis de l'U.R.S.S. où toutefois quelques savants, de la vieille génération, et Sergei A. Tokarev, de l'école moderne, font exception en adoptant l'usage correct des deux termes. L'analyse et la critique de l'« anthropologisme » des pays anglo-saxons, issu de l'école naturaliste du xixe siècle, nous écarteraient du problème de l'ethnographie. La manifestation de ce néo-encyclopédisme qu'aux États-Unis quelques savants consciencieux appellent anthropological phallacy est moins marquée dans les pays latins bien qu'elle y soit présente : l'« anthropologisation » de quelques musées ethnographiques sous l'égide des naturalistes, la fondation de quelques chaires ethnologiques intitulées « d'anthropologie » ou de chaires anthropologiques dénommées « d'ethnologie » sont plus souvent le résultat d'actions individuelles que l'illustration d'une prise de position scientifique collective. Elle touche la définition du terme et du concept d'ethnographie dans la mesure où certains biologistes revendiquent l'ethnographie en tant que « science naturelle ».
Une confusion encore plus inextricable, si possible, suit les différentes prises de position des folkloristes en ce qui concerne la définition de l'ethnographie. Paul Sébillot, en 1886, entend par « ethnographie traditionnelle » l'ensemble des coutumes, des usages, des croyances, des superstitions, des livres de colportage et d'imagerie populaire, et il la distingue du « folklore » qui comporte la « littérature orale », c'est-à-dire contes, légendes, chants, proverbes et devinettes. Par contre, le folkloriste hongrois Lajos Katona, en 1890, considère l'ethnologie comme la science des lois universelles, l'ethnographie comme celle de la culture matérielle, et le folklore comme le domaine des traditions orales. Cette idée se répand ensuite surtout parmi les folkloristes scandinaves, finnois, estoniens et hongrois, bien que certains savants, tel Pal Hunfalvy, premier président de la Société d'ethnographie hongroise (1889), acceptent, dès 1876, une définition identique à celle d'Ampère. Ainsi, d'après une étude publiée en 1919 par le folkloriste suédois Karl Wilhelm Sydow, l'ethnographie embrasserait l'étude des formes et couleurs, des produits et de leur production,[...]
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Écrit par
- Geza de ROHAN-CSERMAK : professeur à l'université Laval, Québec
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