ETHNOLOGIE Ethnosciences
De l'écologie culturelle aux ethnosciences
Tout ne se réglait pas cependant dans les cercles académiques de la vieille Europe : la conquête blanche des espaces américains, particulièrement de l'espace nord-américain, allait susciter outre-Atlantique des démarches scientifiques particulièrement importantes dans l'histoire des relations entre sciences humaines et sciences naturelles.
Confrontés à des environnements nouveaux, à des ressources nouvelles et à des populations indigènes bien insérées dans ces environnements et sachant se servir de leurs ressources, les Blancs furent nécessairement conduits à étudier les uns et les autres. Cela, d'ailleurs, pouvait aider à disposer plus aisément de ces environnements et de ces ressources, en éliminant au besoin les concurrents indigènes dont il valait mieux, pour ce faire, connaître un peu les mœurs.
C'est dans ce contexte pionnier et colonial que devait apparaître, au xixe siècle, la grande figure de Lewis Henry Morgan, l'un des pères fondateurs de l'anthropologie sociale, dont l'œuvre ne néglige pas, loin de là même, les relations entre sociétés, civilisations, environnements et ressources.
Point de surprise donc à constater que c'est dans ces mêmes États-Unis d'Amérique qu'apparaît aussi, à la fin du xixe siècle, l' ethnobotanique inventée en 1895 par Harshberger, agronome et botaniste.
La démarche de Harshberger, initialement fondée sur l'étude des restes végétaux trouvés dans des sites archéologiques, consistait essentiellement à tenter de faire apparaître la trame végétale de l'histoire amérindienne, avec d'ailleurs le souci avoué de rechercher à cette occasion des ressources végétales nouvelles pour le commerce et l'industrie de la colonisation blanche.
Longtemps, cette ethnobotanique américaine ne se sentit concernée que par la relation d'hommes à végétaux dans le cas des sociétés archaïques ou primitives. Longtemps elle demeura dans l'orbite de l'economic botany. Elle recueillait ses données par une observation des façons dont ces sociétés « primitives », notamment les Amérindiens du Nord, se servaient des végétaux, observation faite de l'extérieur de ces sociétés.
Mais cette ethnobotanique allait susciter un vif intérêt parmi les agents du Bureau of American Ethnology. Ceux-là ne se contentèrent pas de relever les usages amérindiens des végétaux. Ils étendirent leurs investigations aux relations entre Amérindiens et animaux. Ainsi, en 1914, Henderson et Harrington utilisèrent pour la première fois, à propos des Indiens Tewa, le terme d'« ethnozoologie », et cela dans un des bulletins du Bureau of American Ethnology. Les auteurs ne s'y bornaient pas à utiliser un néologisme ; ils insistaient en effet sur la nécessité de ne pas se limiter à inventorier les animaux utilisés, les modes indigènes de leurs utilisations et les noms vernaculaires de ces animaux ; ils soulignaient l'importance qu'il y avait à recueillir et à analyser les savoirs naturalistes indigènes. C'était là un tournant majeur : la prise en compte scientifique de ces savoirs naturalistes locaux que, chez nous et au xixe siècle, le folkloriste Eugène Rolland avait si bien désignés sous le terme d'« histoire naturelle populaire ».
Avec la démarche de Henderson et Harrington s'amorça l'étude de ces relations « de l'intérieur », c'est-à-dire au travers des savoirs et discours locaux, de sociétés à environnements naturels.
Plus tard, en 1944, Castetter, toujours aux États-Unis, proposa de réunir etnobotanique et ethnozoologie en une « ethnobiologie », cela afin de rendre compte d'une façon plus globale, « ethnobiocénotique » pourrait-on dire, des relations entre les sociétés et leurs environnements vivants. Très tôt, aux États-Unis encore, l'écologie[...]
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Écrit par
- Jacques BARRAU : professeur au laboratoire d'ethnobotanique et d'ethnozoologie du Museum national d'histoire naturelle de Paris.
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