ETHNOLOGIE Ethnosciences
Les savoirs populaires et la « new ethnography »
En France, où, au xixe siècle, le folkloriste Eugène Rolland avait ouvert la voie au recueil des savoirs botanistes et zoologiques « populaires », il devait revenir à des linguistes et dialectologues d'approfondir l'analyse de ces savoirs. Tel fut le cas de Jean Seguy, qui devait devenir professeur de linguistique romane à l'université de Toulouse ; tel fut aussi le cas d'un autre romaniste qui professait à Montpellier, Louis Michel. Mais ces deux savants qui, comme André-Georges Haudricourt, firent œuvre de pionniers de la recherche française dans le champ de l'ethnoscience étaient, comme Haudricourt, non seulement des linguistes mais encore de bons naturalistes.
Toutefois, c'est ailleurs et lors de la Seconde Guerre mondiale que devaient se renforcer les études sur les relations entre sociétés et environnements naturels. L'ethnologie et l'ethnographie, cela sert aussi à faire la guerre ! Quand, au cours de la Seconde Guerre mondiale, les armées des États-Unis se trouvèrent confrontées aux exigences d'opérations militaires sur divers terrains exotiques, elles allèrent aussitôt puiser des informations à toutes les sources possibles de données sur ces pays, leur nature et leurs populations. Parmi ces sources, il y avait les travaux des ethnographes et des ethnologues qu'on avait déjà commencé à exploiter systématiquement aux États-Unis pour de premières tentatives de création de sortes de banques de données pouvant servir à des études comparatives. L'armée américaine fournit de puissants moyens pour ordonner ces données et les compléter. Ainsi prit naissance ce qui devait devenir le Human Relations Areas File de New Haven aux destinées duquel présida longtemps l'ethnologue Pete Murdock.
Au lendemain de cette Seconde Guerre mondiale, Murdock rédigea un guide permettant de se retrouver dans ces données multiples où les relations de sociétés à environnements naturels et à ressources tenaient une large place. Ce guide parut en 1950 sous le titre Outline of Cultural Materials. Pour la première fois y figurait une rubrique intitulée « ethnoscience ».
Pour Murdock, ce terme d'ethnoscience recouvrait les systèmes d'idées, de notions, de représentations et d'attitudes que les diverses sociétés humaines ont développés au cours de leur histoire et qu'elles entretiennent et développent à l'égard de leurs environnements. Ethnobotanique et ethnozoologie étaient à ses yeux des savoirs locaux du végétal et de l'animal ; à ce titre, elles constituaient donc des catégories de cette ethnoscience (ou encore folk science) ; en fait, cette ethnoscience ou folk science correspondait largement à ce que, au xixe siècle, Eugène Rolland avait nommé « histoire naturelle populaire ».
L'ethnoscience était donc un objet d'étude, d'analyse, de recherche. Cet objet devint celui des travaux de ce que l'on a appelé la new ethnography, école de l'anthropologie américaine où s'illustrèrent Hal Conklin, Bob Fox, Bill Sturtevant, Charles Frake, Brent Berlin et bien d'autres.
Fondamentalement concernée par les façons dont les sociétés ordonnent les éléments de leurs environnements au sens large dans des systèmes classificatoires et nomenclaturaux, la new ethnography américaine, qui ne devait pas conserver très longtemps l'enthousiasme unitaire de ses brillants débuts, allait contribuer au développement de la cognitive anthropology, l'anthropologie du connaître et du savoir.
Cette new ethnography entreprit sa démarche en se fondant sur des concepts empruntés à la linguistique. Cela devait assez vite provoquer quelques polémiques, les dits concepts étant contestés par des linguistes alors même que la new ethnography les prenait pour bases de ses recherches. On n'entrera pas dans[...]
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Écrit par
- Jacques BARRAU : professeur au laboratoire d'ethnobotanique et d'ethnozoologie du Museum national d'histoire naturelle de Paris.
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