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ETHNOLOGIE Ethnosciences

Les convergences nécessaires

Les mots ne se laissent pas aisément manipuler : dans « ethnoscience » il y a « science » ; déjà, en 1963, Albert Spaulding avait contesté le bien-fondé de ce terme d'ethnoscience en raison de ses implications et de ses ambiguïtés sémantiques.

Le problème majeur posé par ce néologisme est qu'on en vint tout naturellement à faire de ce qui était à l'origine un objet d'étude une discipline scientifique voire des disciplines scientifiques, comme en témoigne le terme d'ethnosciences, au pluriel, si souvent utilisé chez nous, où il est généralement compris comme désignant des banlieues ethnologisées de disciplines naturalistes aux étiquettes simplement affectées du préfixe « ethno » ethnobotanique, ethnozoologie, ethnobiologie, ethnoécologie, etc.

Pourtant, dans La Pensée sauvage, publiée en 1962, Claude Lévi-Strauss avait bien distingué ce qu'était cette ethnoscience par rapport à la new ethnography américaine. Cela n'empêcha pas la confusion qui a quelque peu contribué à accroître les incompréhensions entre sciences naturelles et sciences humaines.

D'où bien des querelles – et par là même bien des articles et bien des ouvrages – sur le point de savoir, par exemple, si l'ethnobotanique n'était qu'une application de la botanique, si elle relevait strictement des sciences humaines, si elle était une discipline à part entière, indépendante, etc.

Il eût été infiniment préférable que l'on s'en tînt chez nous au vieux terme d'Eugène Rolland, « histoire naturelle populaire », au lieu de ce foisonnement d'ethno-disciplines naturalistes ! Certes, l'histoire naturelle n'est plus à la mode, du moins en France, où l'on reproche aussi à « populaire » une connotation péjorative. Qu'importe ! « histoire naturelle populaire » convenait fort bien et aurait évité nombre de discussions inutiles. On reconnaît en effet qu'il existe de remarquables travaux d'ethnobotanique et d'ethnozoologie réalisés par des ethnologues qui, à l'origine, n'étaient pas des naturalistes confirmés. Et l'on constate à l'inverse qu'il existe aussi des naturalistes d'origine qui ont su acquérir les connaissances ethnologiques et linguistiques nécessaires pour pénétrer au cœur de savoirs naturalistes populaires.

La seule règle pour une bonne recherche dans un tel champ interscience paraît être d'avoir un esprit assez subversif pour mettre en cause et transgresser les interdits et préjugés disciplinaires, seul moyen de se dégager des attitudes scientistes et d'accepter, tel qu'il est, le savoir des autres.

Pour illustrer ce qui précède, on citera deux propos d'ethnologues relatifs à l'ethnoscience. Le premier est emprunté à Harold Conklin, dont la thèse sur les relations des Hanunòo philippins à leur environnement végétal demeure un modèle ; Conklin, écrit que, en matière de recherche en ethnobotanique, on n'a guère à se préoccuper d'observations relevant de la botanique classique. Ce qui compte, c'est le recueil et l'analyse des savoirs locaux du végétal. Les considérations de botanique scientifique n'ont en la matière, ajoute Conklin, qu'une importance secondaire, leur seul rôle étant de faciliter la comparaison entre des systèmes sémantiques différents. Nous extrairons le second propos du Regard éloigné, un ouvrage publié par Claude Lévi-Strauss en 1983 : « Et comment se fait-il que mes livres portent tant d'attention aux plus infimes détails ethnographiques ? Pourquoi m'y efforçai-je d'identifier avec précision les plantes et les animaux connus de chaque société, leurs emplois techniques particuliers et, s'agissant d'espèces comestibles, les manières différentes dont on les prépare : bouillies, cuites à l'étouffée ou à la vapeur,[...]

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Écrit par

  • : professeur au laboratoire d'ethnobotanique et d'ethnozoologie du Museum national d'histoire naturelle de Paris.

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Claude Lévi-Strauss - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Claude Lévi-Strauss

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