ETHNOMÉTHODOLOGIE
Un programme pluriel
Une première génération de collègues, de collaborateurs et d'étudiants de Garfinkel – Aaron Cicourel, Egon Bittner, Melvin Pollner, David Sudnow, Lawrence Wieder, Don Zimmerman... – s'est fait connaître dans les années 1970 par des recherches sur la connaissance ordinaire du monde social et sur la constitution du sens d'un monde partagé. L'un d'eux, Harvey Sacks, qui avait fait ses études avec Erving Goffman à Berkeley et qui était venu suivre l'enseignement de Garfinkel à Los Angeles, est à l'origine de l'analyse de conversation. Ce sous-programme au sein de l'ethnométhodologie est développé en association avec un autre élève de Goffman, Emanuel Schegloff, et Gail Jefferson. Leur inspiration est plus éclectique et moins phénoménologique.
L'analyse de conversation
L'analyse de conversation étudie comment les interlocuteurs organisent séquentiellement leur conversation. Parmi les aspects étudiés, on peut relever : les ouvertures, les clôtures, l'initiation d'un premier thème de conversation, le passage d'un thème à un autre, ainsi que la gestion des tours de parole. Des études ont aussi été consacrées à la manière dont se font les enchaînements dans les cas de compliment, les refus dans les cas d'invitation, ou dans les cas de désaccord, etc., ou encore à la façon dont se font les réparations, les allusions, etc. L'analyse de conversation a développé sa propre méthodologie, dite « naturaliste » (Garfinkel n'a pas à proprement parler de méthodologie – il a utilisé plusieurs méthodes, depuis le type d'expérience pratiqué en psychologie sociale jusqu'au recueil de récits de vie). Elle consiste à travailler à partir de données enregistrées (audio et vidéo), donc de l'observation d'occurrences réelles en situation, à se laisser dicter les questions sur lesquelles enquêter par la confrontation à ces données (plutôt que de les tirer d'une théorie, comme le demande une épistémologie hypothético-déductive) et à ne chercher les réponses à ces questions que dans une observation détaillée des données (au motif que tout se joue dans les détails). Certes on peut imaginer comment s'organise une conversation, par exemple comment y est gérée la distribution de la parole, mais la réalité des manières de procéder correspond rarement à ce qu'on peut imaginer – il faut donc la découvrir par une observation attentive. Par ailleurs, pour découvrir les opérations effectuées par les agents, et les méthodes qu'ils mettent en œuvre, les techniques habituelles de l'enquête sociale sont de peu de secours, que ce soit l'entretien, le sondage ou l'observation ethnographique. Ce naturalisme doit beaucoup à Goffman. Mais Goffman ne peut pas être considéré comme un ethnométhodologue. Goffman et Garfinkel ont été proches l'un de l'autre, et certaines convergences sont évidentes dans leurs recherches. Mais leurs projets intellectuels ont été radicalement différents.
L'analyse de conversation a ainsi considérablement enrichi l'approche des « ethnométhodes » et donc l'étude de la compétence ordinaire des agents sociaux. Elle a aussi contribué à établir le fait que les « ethnométhodes » sont en définitive des méthodes inhérentes aux divers types d'activité sociale. Ainsi la régulation des tours de parole dans la conversation se fait-elle selon des procédés propres à celle-ci, des procédés qui en sont constitutifs ; pour devenir un partenaire de conversation compétent, il faut acquérir la technique de cette activité sociale, se doter du savoir-faire correspondant. Les différents phénomènes sociaux ont ainsi leur méthode propre d'organisation, et la compétence sociale est, pour une grande part, une affaire d'acquisition et de maîtrise de techniques. Cette conviction de l'ethnométhodologie[...]
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Écrit par
- Louis QUÉRÉ : directeur de recherche au C.N.R.S.
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