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GILSON ÉTIENNE (1884-1978)

Philosophe, historien de la pensée médiévale, Étienne Gilson est, à ce dernier titre, un pionnier et l'animateur de toute une équipe de chercheurs qui ont renouvelé l'étude des idées et des systèmes du Moyen Âge. Agrégé de philosophie (1907), docteur ès lettres, avec deux thèses remarquables (Index scolastico-cartésien et La Liberté chez Descartes et la théologie, 1913), il a enseigné aux universités de Lille (1913), de Strasbourg (1919), puis de Paris comme professeur d'histoire de la philosophie médiévale (1920). Élu à l'Académie française en 1946, il a porté ensuite son enseignement dans le Nouveau Monde, notamment à Toronto et à Montréal. Fondateur et directeur en 1925 des Archives d'histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, il dirigea à partir de 1921 la collection des Études de philosophie médiévale.

Gilson fait partie de ces hommes qui, sans naître chrétiens, « le deviennent sans avoir été consultés ». Il fit ses études au petit séminaire de Notre-Dame-des-Champs à Paris et suivit la classe de philosophie du lycée Henri-IV. Ne comprenant pas grand-chose au spiritualisme laïcisé qui régnait dans le monde intellectuel, il choisit néanmoins la voie de la philosophie. Il décrit, non sans humour, dans Le Philosophe et la théologie (1960), l'atmosphère de la Sorbonne d'alors et son enseignement éclectique, où la philosophie, humiliée par la science, avait supprimé dans son programme toute métaphysique.

Du côté de la théologie, Gilson constatait un semblable désordre, à la charnière du rationalisme et du fidéisme. L'histoire de la philosophie sautait de la Grèce à Descartes. Lucien Lévy-Bruhl proposa précisément à Gilson, d'abord fort intéressé par le philosophe du cogito, un sujet de recherche sur le cartésianisme et la scolastique. C'est ainsi que le jeune philosophe se trouva conduit à lire saint Thomas, qu'on n'étudiait pas parce qu'il était classé comme théologien. Mais il fallait bien en venir à admettre que, si Descartes avait utilisé les matériaux fournis par saint Thomas, ce qui était chez celui-ci de la théologie était devenu philosophie chez le premier. Cela reconnu, la distinction entre la théologie et la philosophie ne semblait plus guère aller de soi.

De plus, Gilson remarque qu'un certain nombre de positions cartésiennes enracinées dans le thomisme apparaissent étrangères à la philosophie d'Aristote. N'est-ce pas alors que la théologie chrétienne, bien loin de s'articuler sur cette dernière, a reforgé une autre philosophie, qui a influé sur Descartes ? Plus précisément, Gilson, estimant que la métaphysique d'Aristote était une « promotion directe de sa physique », considère que « la théologie médiévale a libéré la métaphysique de la physique sans se l'asservir ». Toute l'œuvre de Gilson tend à démontrer que la philosophie de saint Thomas est non une philosophie de l'essence, mais une philosophie de l'exister et de la création, élaborée dans la tradition judéo-chrétienne. Le thomisme est, par là, une philosophie originale qui se trouve en relation avec la théologie.

Afin de montrer l'originalité de cette pensée, à laquelle il a consacré de nombreux ouvrages, notamment Le Thomisme (1922), plusieurs fois réédité, Gilson entreprend de la comparer aux autres philosophies médiévales ou à leurs sources, dans de nombreuses et importantes publications : La Philosophie de saint Bonaventure (1924) ; La Philosophie au Moyen Âge (1925) ; Introduction à l'étude de saint Augustin (1929) ; L'Esprit de la philosophie médiévale (1932) ; Duns Scot (1952). Dans son travail d'historien, Gilson montre que toute théologie a sa philosophie. Pourtant, c'est pour une double raison qu'il accorde sa préférence à Thomas d'Aquin : d'une part, celui-ci affirme nettement[...]

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