GUYON ÉTIENNE (1935-2023)
Article modifié le
Le physicien français Étienne Guyon est né le 31 mars 1935 à Paris. Il est normalien, formé d'abord par André Guinier dans le domaine de la physique des rayons X, en 1958. Parti ensuite pour les États-Unis, il travaille brièvement avec Frederic Seitz sur les défauts dans les cristaux. Revenu à Orsay en 1962, il devient l'un des membres fondateurs du Groupe de supraconductivité (un supraconducteur est un métal qui, à basse température, peut transporter un courant électrique sans aucune perte), groupe assez original, dont beaucoup de publications sont collectives et anonymes, mais dont les participants deviennent rapidement connus sur la scène internationale. Les aptitudes variées d'Étienne Guyon s'y manifestent tout de suite : parce qu'il a fait un calcul théorique nouveau sur l'« invasion » d'un métal normal N par les électrons d'un film de supraconducteur S collé contre N, Guyon est reçu chaleureusement par un groupe d'expérimentateurs anglais de Cambridge. Ceux-ci lui font une grande faveur : ils lui communiquent certains « secrets de fabrication » pour arriver à faire ce que l'on appelle des « jonctions », c'est-à-dire des contacts fins métal-isolant-métal. Ainsi, la théorie vient au secours de l'expérience ! Et, grâce aux conseils des Anglais, Étienne Guyon et Alexis Martinet pourront très vite mettre en œuvre des expériences dites d'effet tunnel, où l'on détermine, avec des jonctions, les états électroniques, assez subtils, présents dans un supraconducteur exposé à des champs magnétiques. Par ailleurs, avec Jean Paul Burger, Guy Deutscher et Alexis Martinet, Étienne Guyon est l'un des découvreurs de la supraconductivité de surface : situation où un métal sous champ peut transporter du courant sans pertes, sur une fine peau de 100 nanomètres près de sa surface libre. En 1965, Guyon soutient sa thèse sur la supraconductivité. Peu après, il change légèrement d'orientation, et va travailler à Los Angeles avec Isadore Rudnick sur l'hélium liquide – un autre superfluide (c'est-à-dire un système où certains écoulements se produisent strictement sans dissipation).
En 1968, il s'engage dans une direction tout à fait nouvelle pour lui : abandonnant la physique des basses températures, il décide d'aborder l'étude des cristaux liquides, matériaux qui sont depuis lors tombés dans le domaine du grand public pour leur rôle d'affichage, par exemple sur les montres. De telles reconversions sont extrêmement délicates : les montages expérimentaux, la culture, le poids relatif de la chimie et de la physique, le langage même sont complètement différents. Mais Étienne Guyon, avec l'aide d'un élève remarquable, Pavel Pieranski, va surmonter avec brio tous ces obstacles. Il transpose en fait certaines techniques instrumentales basées sur des films métalliques évaporés de son ancien champ d'investigation au nouveau. Très vite, il découvre des phénomènes hydrodynamiques complètement originaux dans les cristaux liquides.
Cette étape particulièrement heureuse dure environ dix ans. Ensuite, vers 1978, Étienne Guyon devient professeur de mécanique physique à l'École de physique et chimie de Paris, et il prend encore un autre virage ! Il s'intéresse alors aux roches poreuses qui filtrent une nappe aquifère, aux tas de sable, et à tout ce que l'on appelle un peu pompeusement « milieux aléatoires macroscopiques » (Miam). Il mène dans ce secteur une double activité d'animateur, sur Paris et aussi à l'université Saint-Jérôme de Marseille. Le rôle d'Étienne Guyon à Marseille, pour encourager, vitaliser, fédérer les équipes, a été exceptionnel. Grâce à lui, et à quelques théoriciens, la France est devenue l'un des pays les plus actifs dans ce domaine.
Le nom d'Étienne Guyon est ici étroitement associé à un concept que nous appelons percolation. Prenons, par exemple, une plaque métallique, et perçons-la de trous répartis au hasard : lorsque les trous sont peu nombreux, la plaque est encore très rigide. Mais, lorsque la densité de trous approche d'un certain seuil dit seuil de percolation, la plaque devient très déformable en flexion et en extension, et finalement elle se rompt. Ces propriétés mécaniques de systèmes fragiles sont souvent importantes en pratique : par exemple, pour décrire le début de la prise des ciments.
En même temps qu'il se consacre à ces grandes questions, Étienne Guyon, infatigable, parvient à mener encore bien d'autres actions, souvent inattendues : il travaille studieusement dans une chorale ; il installe l'électricité dans un bidonville ; il parraine avec dévouement le démarrage de thèmes nouveaux de recherche dans des centres isolés ou éloignés (Nice, Rennes, Buenos Aires...) ; il est un des initiateurs des opérations « physique dans la rue », destinées à faire connaître la science par le grand public. C'est ce dernier aspect qui l'amène, en 1988, à la direction du palais de la Découverte, fonction qu'il exercera jusqu'en 1991. Il donne à cet établissement une impulsion considérable. Les nouvelles expositions – aussi bien sur les colonies d'insectes que sur les « surfaces minimales » réalisées avec des films de savon – obtiennent un très large succès. Toute une génération de conférenciers au langage simple explique au public la physique et la chimie du quotidien : comment on peut comprendre, à partir de principes élémentaires, des phénomènes familiers mais bizarres tels que la formation d'un éclair, la montée d'une mayonnaise, l'élasticité d'un caoutchouc, la prise d'une colle... Des salles nouvelles s'ouvrent (sur les particules élémentaires par exemple) et des secteurs entiers, comme la chimie, sont totalement reconstruits. La relation importante entre arts et sciences est matérialisée par l'ouverture de portes entre les bâtiments voisins du Grand Palais et du palais de la Découverte, et des actions communes s'organisent. Étienne Guyon a fait revivre au Palais l'esprit expérimental qu'y avait insufflé Jean Perrin lors de sa création. Enfin, le 17 octobre 1990, Étienne Guyon est nommé directeur de l'École normale supérieure à Paris. Il a la responsabilité d'une double mixité : filles (Sèvres) et garçons (Ulm) sont regroupés dans une seule école et, de plus, scientifiques et littéraires étudient côte à côte.
Il est difficile de faire sentir à un lecteur non scientifique l'audace d'une démarche comme celle d'Étienne Guyon. À notre époque, les disciplines sont spécialisées, cloisonnées à l'extrême, et très rares sont ceux qui peuvent couvrir les domaines très divers qu'il a éclaircis. Seuls quelques grands encyclopédistes comme lui ont réussi à dépasser ces frontières : ils jouent un rôle considérable dans le progrès scientifique et dans l'épanouissement des chercheurs.
Étienne Guyon meurt le 13 juillet 2023 à Molières-Cavaillac (Gard).
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Pierre-Gilles DE GENNES : professeur au Collège de France, directeur de l'École supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris, Prix Nobel de physique 1991
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Autres références
-
MATIÈRE ET MATÉRIAUX. DE QUOI EST FAIT LE MONDE ? (dir. É. Guyon)
- Écrit par Bernard PIRE
- 914 mots
À partir du moment où la matière est destinée à une utilisation précise, on parle de matériaux. Mais comment raconter cette matière qui sous des aspects si divers accompagne le quotidien de chacun d'entre nous, pour s'alimenter, se loger ou s'habiller, mais aussi aller à la rencontre des autres...
Voir aussi