ÉTIENNE-MARTIN MARTIN ÉTIENNE dit (1913-1995)
Dominé par une inspiration lyrique et baroque, servi à la fois par une exceptionnelle rapidité de la transcription plastique et une aisance remarquable dans l'improvisation poétique, l'œuvre du sculpteur français Étienne-Martin s'inscrit dans une sorte de fantaisie occulte et envoûtante qui le situe bien davantage dans les chemins marginaux empruntés par Antonio Gaudí et le facteur Cheval que dans les grands courants cubiste ou constructiviste, qui ont le plus souvent présidé à l'élaboration de la sculpture contemporaine. Étienne-Martin est né à Loriol dans la Drôme. Élève à l'école des Beaux-Arts de Lyon, il arrive à Paris en 1933, où il travaille dans l'atelier de Charles Malfray à l'académie Ranson. Ses amis s'appellent Le Moal, Bertholle, Manessier, François Stahly ; les éléments déterminants de ces années de formation, qui dureront jusqu'à la déclaration de guerre en 1939, semblent avoir été d'abord une rencontre capitale avec Marcel Duchamp (1936), puis en 1947 celle de cet étonnant personnage que fut Gurdjieff dont il fréquentera la communauté pendant une dizaine d'années. En 1947, Henri-Pierre Roché (le futur romancier de Jules et Jim) lui fait rencontrer Brancusi, Dubuffet, Henri Michaux. En 1968, Étienne-Martin est nommé chef d'atelier d'art monumental à l'École des beaux-arts, où il enseignera jusqu'en 1983. Dès ses premières œuvres, d'étranges assemblages d'étoffes et de ficelles qu'il triture et mêle, cet artiste insolite, un des plus secrets et des plus solitaires de notre temps, ne se préoccupe que du contact primordial avec le matériau. Seuls l'intéressent le premier jet, la taille directe sur bois et le plâtre éphémère et destructible, qui permettent une transcription immédiate et spontanée. Matérialisation brutale et grossière (à laquelle on a parfois reproché son côté inachevé) des choses vécues et senties par l'artiste, l'œuvre sculpté d'Étienne-Martin s'inscrit autour de quelques grands thèmes qu'il reprend sans cesse et dont il a lui-même démonté les pièces dans un livre intitulé Abécédaire et autres lieux (Genève, 1967). Parmi les plus importants, celui de la nuit (La Nuit ouvrante, 1945-1955, Musée national d'art moderne, Paris), où se côtoient sans s'affronter le monde diurne de la conscience et le monde nocturne du rêve et de l'inconscient ; celui du manteau aussi (La Demeure V « Le Manteau », 1962, Musée national d'art moderne, Paris), plus objet protecteur que manteau de chef et qui est à la fois couverture enveloppante, mère protectrice, maison, mais aussi, au travers d'une symbolique tantôt évidente, tantôt mystérieuse, mémoire ou souvenir de ce qui fut vécu. Cependant, c'est incontestablement par ces vastes architectures-sculptures que sont les Demeures (la première en date, la Demeure I, 1954-1958, bronze, musée de sculpture de plein air, quai Saint-Bernard, Paris) que le sculpteur marque d'une empreinte originale son époque. Le musée d'Art moderne de Paris a présenté en 1984 l'ensemble des vingt Demeures (1954-1984), et la même année la galerie Artcurial a réuni les sculptures en bois (1951-1984). Nombre de ses sculptures en plâtre ou en bois ont été coulées en bronze par Michel Couturier ou Artcurial. Véritables constructions, elles enferment dans la prolifération de leurs volumes, ouverts ou fermés, comme dans l'organisation complexe de leurs enchevêtrements de plâtre, à la fois la mère (« L'homme ne quitte jamais le ventre de sa mère »), la maison de l'enfance, celle qui protège des frayeurs du monde, mais aussi la maison du rêve, celle qui engloutit le passé, le présent et le devenir et ouvre ses portes au fantastique et à l'invisible. Premières sculptures habitacles du xxe[...]
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Écrit par
- Maïten BOUISSET : critique d'art
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