ÊTRE, philosophie
La « question sur l'être » traverse l'histoire de la philosophie. Pour certains, elle serait le motif même de cette histoire, les différences entre les philosophies découlant, au plus profond, de la diversité des réponses à la question sur l'être. Dans ces termes, l'histoire de la philosophie se confondrait avec l'histoire du sens de l'être ou, plus fortement encore, avec les modalités de la « dispensation » de l'être (Hegel, Heidegger).
Cependant, une autre approche cherche plutôt à élucider le sens de l'être et de l'existence. On dira alors que le travail du philosophe consiste à passer d'un usage général et relativement imprécis, voire tautologique (Parménide), du concept d'être à la détermination des « acceptions » de l'être (Aristote) et des conditions de la prédication de l'existence (Kant, Frege). Dans cette perspective, la logique de l'existence prend le pas sur la question sur l'être.
L'être dans la pensée grecque
« Il soupçonna que l'eau était le principe des choses, que le monde était animé et rempli de démons. On dit qu'il découvrit les saisons de l'année, et qu'il la divisa en trois cent soixante-cinq jours. Il ne suivit les leçons d'aucun maître, sauf en Égypte, où il fréquenta les prêtres du pays. À ce propos, Hiéronyme dit qu'il mesura les pyramides en calculant le rapport entre leur ombre et celle de notre corps [...]. On lui attribue encore les sentences suivantes : de tous les êtres, le plus ancien, c'est Dieu, car il n'a pas été engendré ; le plus beau, c'est le monde, car il est l'ouvrage de Dieu ; le plus grand, c'est l'espace, car il contient tout ; le plus rapide, c'est l'esprit, car il court partout ; le plus fort, c'est la nécessité, car elle vient à bout de tout ; le plus sage, c'est le temps, parce qu'il découvre tout. » Ainsi pensait Thalès de Milet, tel que rapporté par Diogène Laërce (Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres, chap. I, paragr. 27 et 35, Paris, 1935).
Face à ce texte, cet autre : « Nous nommons le temps quand nous disons : chaque chose (Ding) a son temps propre. Cela veut dire : tout ce qui est en son temps, chaque étant, vient et va au bon moment, et demeure un certain temps, pendant le temps qui lui est accordé. Chaque chose a son propre temps. Mais est-ce que l'être est une chose ? L'être est-il, tout comme un étant ayant son propre temps, dans le temps ? Et même, avant tout, l'être est-il ? S'il était, alors il faudrait, sans autres, que nous le reconnaissions comme quelque chose d'étant, et par conséquent que nous le rencontrions, parmi le reste de l'étant, comme un étant. Cet auditorium est. L'auditorium est éclairé. L'auditorium éclairé, nous allons sans autres et sans hésitation le reconnaître comme quelque chose d'étant. Mais où, dans tout l'auditorium, trouvons-nous le « est » (das « ist ») ? Nulle part au milieu des choses nous ne trouvons l'être. Chaque chose a son propre temps. Mais l'être n'est pas une chose, n'est pas dans le temps. » Heidegger, en 1962, tout au début de sa conférence sur « Temps et Être » (Questions IV, trad. franç., Gallimard, Paris, 1976 ; éd. allem., Zur Sache des Denkens, Niemeyer, Tübingen, 1969), aurait voulu conclure sur ces mots le cheminement commencé par le « plus sage parmi les Sept Sages » au vie siècle avant J.-C. Le passage de Diogène vient confirmer cette boutade de Nelson Goodman soutenant, au chapitre vi, paragr. 3 de son Ways of Worldmaking (Hackett, Indianapolis, 1978), qu'« avec les présocratiques [...] déjà presque tout a été fait de ce que l'histoire de la philosophie, dans les progrès et dans les erreurs, nous a laissé d'important[...]
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Écrit par
- Giulio GIORELLO : professeur de philosophie des sciences à l'université de Milan
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