ÊTRE, philosophie
Être, étant, néant
Dans Sein und Zeit (1927), Martin Heidegger part de l'affirmation aristotélicienne que « l'être se prend en de multiples acceptions » pour demander laquelle est fondamentale, laquelle constitue l'être de l'étant. C'est la question qui a « tenu en haleine » Platon et Aristote, celle qui s'est constamment posée dans la pensée de l'Occident. Heidegger ne cherche pas ici à donner une autre réponse, mais à éveiller la compréhension du sens propre de la question : une telle chose exige préalablement une explicitation de l'étant qui pose la question. « Cet étant que nous-mêmes sommes déjà, et qui possède, parmi les autres possibilités d'être, celle de chercher, nous l'indiquons par le mot Dasein. » L'homme, considéré dans sa façon d'être, est justement Da-sein, être-là. Le Da indique justement que l'homme se trouve toujours plongé dans une situation : non seulement il est l'étant qui pose la question, mais il est encore l'étant qui ne se laisse pas réduire à la notion d'être que la pensée de l'Occident identifie avec l'objectivité (dans les termes de Heidegger, le Dasein n'est jamais une « simple présence », puisqu'il est l'étant pour qui les choses sont « présentes », c'est-à-dire des ob-jecta).
Il est connu que le questionnement de Sein und Zeit finira par donner comme résultat que le sens de l'être ne saurait s'obtenir grâce à l'interrogation d'un étant : l'analyse du Dasein ne révèle pas le sens de l'être, mais plutôt le néant de l'existence. La pensée de l'Occident a cherché ce sens en analysant les étants, en identifiant l'être à l'objectivité, c'est-à-dire à la simple présence des étants eux-mêmes ; la « métaphysique » s'est réduite à une « physique » qui a oublié l'être, et qui même a produit l'oubli de cet oubli. Platon en serait le premier responsable : alors que les philosophes antiques avaient conçu la vérité comme un dévoilement de l'être – en consonance avec le mouvement accompli dans le Sophiste –, Platon aurait refusé la vérité comme « non-occultation » de l'être, en fondant l'être sur la vérité située dans la pensée qui juge et établit les rapports entre ses propres « contenus » ou « idées » (voir en particulier le Sophiste, 259 d 11-264 b 11).
Il n'est pas étonnant, à notre sens, que, dans la proposition heideggérienne, l'homme en vienne à être désigné comme le « berger de l'être » (à bien distinguer du « maître de l'étant » qu'il est devenu avec la dégradation de la « métaphysique » en « physique » et de la « physique » en « technique »), en accueillant la révélation que l'être fait de lui-même par l'intermédiaire du langage – soit un explicite retour à Parménide. Dans sa version la plus simple, l'interrogation fondamentale s'énonce comme suit : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Or la réponse la plus radicale, disons même la dissolution du problème, se trouve déjà dans les fragments parménidiens que nous avons rappelés. L'idée centrale de ces fragments paraît être la suivante : « le concevable (et par conséquent l'exprimable) est un critère et une preuve de la réalité de ce ce qui est conçu (ou exprimé), car seul le réel peut être conçu (et exprimé), tandis que l'irréel ne peut être conçu ni exprimé. En avançant cette thèse, Parménide ne nous dit pas seulement que penser une chose équivaut à penser qu'elle existe, mais aussi que le fait de pouvoir penser à une chose en prouve forcément l'existence » (R. Mondolfo, Il Pensiero antico, La Nuova Italia, Florence, 1961). Il ne s'agit pas[...]
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Écrit par
- Giulio GIORELLO : professeur de philosophie des sciences à l'université de Milan
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