ÊTRE UN HOMME (N. Krauss) Fiche de lecture

Fêlures et illuminations

Entre ces deux bornes textuelles s’enchâssent des histoires, parfois plus anciennes, qui renouent avec la veine allégorique, étrange, merveilleuse et à l’occasion mystique de Nicole Krauss, manifestement influencée par la kabbale, les contes yiddish et Kafka. « Zoucha sur le toit » relate l’obstination du rabbin Brodman, homme du « devoir » et de la « charge » qui, quelques jours après sa mort, outre-tombe, décide d’enlever son petit-fils, le jour de sa circoncision, et de le mener en haut d’un immeuble.

« Le mari » décrit l’énigmatique irruption dans la vie d’une veuve, « n’attenda[nt] personne », d’un vieil homme « arrivé de nulle part et de rien » qui prétend être son époux et finit par le devenir. D’autres nouvelles accentuent plus avant ce flottement énigmatique et troublant entre réalité et fiction en esquissant un dialogue, inédit chez Nicole Krauss mais fréquent dans le roman postmoderne, avec le cinéma, au travers de références au Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami dans « Voir Ershadi » ou à Amour de Michael Hanecke dans le texte qui porte le même titre.

Ainsi, sans montrer l’épaisseur complexe et cohérente des romans, ces créations-miniatures de l’auteure en nouvelliste la ramèneraient presque à sa vocation première de poète saisissant, de manière furtive, un fragment d’existence, à un moment de deuil, de rupture et de crise, afin de laisser éclore, dans un style en clair-obscur, une vérité humaine qui finit par se révéler, se nouer et se clore, comme dans les meilleures fables, en de superbes aphorismes. « C’est ainsi que l’on vit, en enjambant inopinément ce genre de choses jusqu’au jour où elles cessent de nous accabler et où nous arrivons à les oublier totalement. »