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ÉTYMOLOGIE

La notion de « champ linguistique »

Deux innovations ont, dans la première moitié du xxe siècle, marqué profondément, et de façon contradictoire, la recherche étymologique. La création puis la rapide extension, à partir de 1918, de la « géographie linguistique » (étude des faits de langue dans leur dimension spatiale et non plus exclusivement temporelle) fit faire à l'étymologie un progrès considérable. Toutefois, Gilliéron, initiateur de cette méthode, réagissait avec tant de vigueur contre le schématisme des phonéticiens (La Faillite de l'étymologie phonétique, 1919) que, par une sorte de malentendu, les étymologistes à sa suite négligèrent de tirer profit du structuralisme naissant. Inversement, par réaction contre l'historicisme, l'école structuraliste s'intéressa peu à l'étymologie. Il reste que la géographie linguistique (et les recherches dialectologiques auxquelles elle est liée) révéla ou mit en évidence l'interdépendance des unités lexicales : le mot n'est pas isolé, le vocabulaire est comme un vaste champ traversé (dans le temps et dans l'espace) par des forces attractives diversement agissantes selon le niveau de culture des sujets parlants. Dans cette perspective, étymologie désigne concurremment deux processus : diachroniquement, une transmission à partir d'une origine ; synchroniquement, un dynamisme qui traduit un besoin de motivation inhérent au langage (d'où l'appellation, lancée par Gilliéron, d'« étymologie populaire », pour signifier les faits d'attraction observés, dans certains cas, entre des mots présentant une ressemblance formelle fortuite). Simultanément se dégage, dans les études dialectologiques, la méthode dite Wörter und Sachen (les mots et les choses) due pour l'essentiel à H. Schuchardt, et qui englobait dans l'examen du mot l'objet désigné lui-même.

L'impact de la linguistique structurale sur les travaux étymologiques fut plus tardif et moins direct. Vers 1930 fut mise en valeur la notion saussurienne d'association, en vertu de laquelle chacune des deux faces du mot (sémantique et formelle) est engagée dans un ensemble plus ou moins étendu et complexe de relations de similitude. J. Trier, dans une étude parue en 1931, nomma champ linguistique (Sprachfeld) la zone des associations de sens. La notion de « champ », depuis lors d'usage général chez les sémanticiens (on parle de champs sémantiques, de champs formels ou morphologiques, de champs morphosémantiques), a été définie de diverses manières, tantôt comme un complexe de relations rigoureusement structuré, tantôt comme un ensemble variable et inégalement stable. Du moins le mot apparaît-il ainsi, aux yeux de l'étymologiste, comme le point de convergence (et le lien) de séries significatives, d'analogies formelles et d'expériences réelles, individuelles ou collectives, impliquant toutes espèces de pratiques ou de structures mentales. Chacun de ces nombreux éléments importe à la recherche et doit trouver sa justification dans la détermination de l'origine du mot. L'image traditionnelle d'unité d'origine, d'étymologie ponctuelle, se dilue. L'« origine » apparaît simplement comme un segment chronologique au début d'une histoire : c'est à celle-ci et à elle seule que peut être appliquée une recherche causale.

Ce point de vue est éminemment représenté par une œuvre qui, dans le domaine des études romanes, marque une étape capitale : le vaste répertoire étymologique du français et des parlers gallo-romans de W. von Wartburg, Französisches etymologisches Wörterbuch, écrit entre 1918 et 1967. La préface du premier volume, en 1922, substituait à la notion d'« étymologie-origine » celle d'« étymologie-histoire du mot ». L'étymologiste devient le biographe d'un mot et,[...]

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Écrit par

  • : ancien professeur aux universités d'Amsterdam, de Paris-VII, de Montréal

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