EHRLICH EUGEN (1862-1922)
Né à Gernowitz, dans la province austro-hongroise de Bucovine — l'actuelle ville ukrainienne de Tchernovtsi —, Ehrlich étudie le droit à Vienne et y enseigne le droit romain de 1899 à 1914 ; il professe ensuite, quelque temps, la même discipline à Gernowitz. Jeune, il s'était converti du judaïsme au catholicisme, mais attachera toujours beaucoup d'attention aux problèmes juifs. En 1918, la Bucovine ayant été rattachée à la Roumanie, l'antisémitisme qui sévit l'empêche de professer. Ehrlich est par son œuvre, et particulièrement par Fondements de la sociologie du droit (Grundlegung der Soziologie des Rechts, 1913), l'initiateur de la sociologie juridique.
Ehrlich défend ce qu'on appelle aujourd'hui une conception sociologique du droit proche de celle de Hermann Kantorowicz (1877-1940). Pour lui, le véritable droit, « le droit vivant », dira-t-il, est un ordre social spontané, qui résulte de l'équilibre qui s'établit au sein de l'État (groupe social) entre les volontés individuelles et les volontés des groupes. Les règles de droit abstraites que fixent l'État, le pouvoir politique, le législateur servent bien à résoudre quelques litiges en justice, lorsque les intéressés ne réussissent pas à se mettre d'accord ; elles ne constituent qu'une frange superficielle du droit total, un droit contentieux pour ainsi dire. Le droit est donc essentiellement une réalité sociale et, dans une très faible mesure seulement, une réalité relevant de l'État. Selon Hans Kelsen (1881-1973), que suit sur ce point Ehrlich, il faut chercher les règles juridiques dans la vie de la société et non pas dans les actes de la volonté étatique : « Le centre de gravité du développement du droit, à notre époque comme à toutes les époques, ne se trouve ni dans la législation ni dans la science juridique ou dans la jurisprudence, mais dans la société elle-même. » C'est à des développements de ce type que l'on donne aujourd'hui l'étiquette de doctrines du « droit social » ou encore de doctrines du « pluralisme juridique ».
Cette théorie conduisait Ehrlich à proposer les directives suivantes pour les juges ou tribunaux appelés à décider, exceptionnellement, de litiges entre sujets du droit : décider en fonction des données sociales dûment constatées, au lieu de ratiociner sur l'interprétation des lois et autres textes comme si la décision pouvait résulter d'une déduction purement logique à partir de ces textes ; éventuellement, les juges doivent se fonder sur leur sentiment personnel de l'équité. Ehrlich fait cependant une réserve importante : si la loi, ou quelque autre source officielle de droit étatique, pose des règles qui fixent avec rigueur et d'une façon univoque les décisions juridictionnelles à prendre dans le cas précis qui est soumis au juge, celui-ci doit se conformer purement et simplement à la loi ; il doit l'appliquer, sans prétendre à aucune liberté.
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Écrit par
- Charles EISENMANN : professeur honoraire à l'université de Paris-I
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