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VIOLLET-LE-DUC EUGÈNE EMMANUEL (1814-1879)

Vézelay et le gothique comme acte constructif

Sainte-Madeleine, Vézelay - crédits : Peter Willi/  Bridgeman Images

Sainte-Madeleine, Vézelay

Le moment décisif de sa carrière survient en 1840. Grâce aux nombreuses relations de la famille, dont l’inspecteur des monuments historiques, l’écrivain Prosper Mérimée, Viollet-le-Duc reçoit, à vingt-six ans, le mandat de rénover l’église abbatiale romane de Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay. L’église tombe en ruine, et Viollet-le-Duc sera amené à en reconstruire de grandes parties. Les défis que représente ce difficile et dangereux chantier agissent comme un révélateur. Ils aiguillent Viollet-le-Duc vers la logique constructive de l’architecture du Moyen Âge : plutôt que de rêver l’architecture de l’ancienne France par l’intermédiaire de ses crayons et pinceaux, Viollet-le-Duc cherche à s’approprier les droits et gestes des maîtres-maçons médiévaux. Il cesse d’entendre l’architecture du Moyen Âge de façon abstraite, suivant une taxonomie stylistique, comme c’était l’usage. Il la conçoit maintenant comme une succession d’expériences constructives, suivant une courbe d’évolution dans le temps. Penser comme le maître-maçon, voilà la règle qu’il s’établit.

Cette complète identification aux constructeurs du Moyen Âge lui consent une grande liberté dans ses restaurations. « Restaurer un édifice », écrira-t-il plus tard, « ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Viollet-le-Duc ne manquera jamais de faire des recherches exhaustives pour chacun de ses chantiers, usant de plus de circonspection qu’on ne lui en attribue généralement. Mais il se donnera la latitude, puisqu’il s’assimile à l’architecte médiéval, de conférer aux monuments une unité qu’ils n’ont peut-être jamais eue. On lui reprochera souvent cette liberté, comme, par exemple, l’historien Anatole Leroy-Beaulieu  dans un article qui suscitera l’attention du public dans la Revue des Deux-Mondes en 1874 : « Sous prétexte de se rapprocher d’une sorte de type abstrait, d’une sorte de gothique absolu, on fait disparaître comme vicieuses ou défectueuses les formes locales, les formes particulières et personnelles des édifices. » Pour Leroy-Beaulieu et bien des critiques après lui, les monuments anciens étaient des documents historiques que l’on ne pouvait pas modifier sous peine de falsification ; pour Viollet-le-Duc, les églises gothiques constituent avant tout des modèles pour comprendre une manière de faire de l’architecture qui, grâce au soin de l’architecte-archéologue, peut revivre au xixe siècle. Une telle attitude face à l’histoire laisse ainsi au restaurateur une mesure de liberté.

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Écrit par

  • : architecte, professeur d'histoire de l'architecture à l'École d'architecture de l'université McGill, Montréal, Québec (Canada)

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Médias

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