VIOLLET-LE-DUC EUGÈNE EMMANUEL (1814-1879)
Viollet-le-Duc écrivain
Face à ces échecs, Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc se replie dans l’écriture. Dès 1858, il avait commencé à publier les premiers fascicules de ses importants Entretiens sur l’architecture (1858-1872). À la fois relation historique et traité d’architecture, les Entretiens, qui seront réunisen deux volumes, ne se limitent pas au Moyen Âge. Viollet-le-Duc y élargit son horizon à l’architecture de toutes les époques et intègre les théories raciales de son ami, le comte Joseph Arthur de Gobineau – théories avec l’aide desquelles il osera pousser ses analyses jusqu’à l’architecture précolombienne mexicaine (1861-1863) et l’art russe (1877). Dans les Entretiens, il envisage le développement de l’architecture comme un processus dialectique dirigé vers une organicité de plus en plus grande. C’est dans les Entretiens qu’il traite enfin de l’architecture du fer – un sujet d’actualité depuis au moins l’Exposition universelle de 1855. Il présente, dans le « Douzième entretien », de très curieux et audacieux bâtiments de son invention où des béquilles en fonte soutiennent en équilibre de lourdes constructions en maçonnerie. Certains de ces projets, vaguement inspirés du gothique, intègrent des motifs organiques – végétaux, cristaux ou cellules – annonciateurs de l’Art nouveau qui apparaîtra à l’aube du xxe siècle.
Ardent patriote, passionné d’architecture militaire, Viollet-le-Duc se porte volontaire en août 1870 pour monter un bataillon de sapeurs lors de la guerre franco-prussienne. Le lieutenant-colonel Viollet-le-Duc fera montre d’un courage et d’une ingéniosité exceptionnels durant les longs mois au front. Il ne se remettra jamais de la défaite de la France, qui est pour lui le signe d’une dégénérescence nationale.
En 1874, il démissionne de son poste d’inspecteur général des édifices diocésains et de celui d’architecte des cathédrales de Paris, d’Amiens, de Reims et de Clermont-Ferrand et se consacre davantage à l’écriture. Il rédige des romans didactiques pour la jeunesse, publiés par Pierre-Jules Hetzel, qui visent à réformer la nation à la base. Il collabore régulièrement aux journaux républicains tels Le Centre gauche,Le Bien publicet Le XIXe siècle, dénonçant intarissablement les doctrines et les orientations de l’Académie des beaux-arts. Considérant la politique communale comme le fondement de la nation, il se présente aux élections municipales du faubourg Montmartre et il est élu conseiller en novembre 1874.
Dans les dernières années de sa vie, Viollet-le-Duc séjourne en Suisse tous les étés, d’abord à Chamonix, puis à Lausanne, faisant d’inlassables randonnées dans le massif du Mont-Blanc, auquel il consacre un ouvrage entier, tâchant d’en retrouver la forme primordiale. Son retrait du monde de l'architecture n’est qu’apparent. Il est toujours présent au sein d’innombrables commissions et demeure entouré d’un groupe très actif de disciples, dont, parmi les plus importants en France, les architectes Émile Boeswillwald, Paul Abadie, Victor Ruprich-Robert, Edmond Duthoit et surtout Anatole de Baudot. Sa doctrine rationaliste se propage à travers l’Europe et l’Amérique, grâce à ses livres et au réseau de revues professionnelles et de publications architecturales sous son emprise. Quand il meurt le 17 septembre 1879, à Lausanne, il est encore considéré comme un rebelle gênant par la coterie d’architectes proche de l’Académie des beaux-arts, mais la critique occidentale le loue comme une des gloires françaises de l’architecture du xixe siècle.
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Écrit par
- Martin BRESSANI : architecte, professeur d'histoire de l'architecture à l'École d'architecture de l'université McGill, Montréal, Québec (Canada)
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