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FREYSSINET EUGÈNE (1879-1962)

Parmi les bâtisseurs, il y a des concepteurs de structure plus élégants qu'Eugène Freyssinet. Le Suisse Robert Maillart est du nombre. Mais peu ont exercé une influence aussi déterminante sur le génie civil et la construction de leur époque que Freyssinet. Auteur de projets remarquables comme les hangars d'Orly ou le pont Albert-Louppe à Plougastel-Daoulas, inventeur du béton précontraint, il compte à coup sûr parmi les grands ingénieurs du xxe siècle.

Eugène Freyssinet naît en 1879 à Objat, dans le bas Limousin. Ses origines paysannes compteront toujours énormément à ses yeux. Il se définira volontiers comme l'héritier d'une longue lignée de bâtisseurs, comme un « sauvage, dominé par ses instincts et conduit par ses intuitions », selon ses propres termes, plutôt que comme un théoricien des structures. Cela ne l'empêche pas d'entrer à l'École polytechnique, puis d'être admis, à sa sortie de l'École, dans le corps des Ponts et Chaussées qui l'envoie comme ingénieur ordinaire dans le département de l'Allier.

Freyssinet reste peu de temps au service de l'administration. Il passe dans le secteur privé à la suite de sa rencontre avec l'entrepreneur François Mercier pour qui il construit trois ouvrages importants en béton sur l'Allier. Achevés en 1911-1912, les ponts du Veudre, de Boutiron et de Châtel-de-Neuvre marquent le véritable point de départ de sa carrière de bâtisseur. En association avec l'entrepreneur Claude Limousin, l'ingénieur réalise par la suite toute une série de grands ouvrages en béton armé, le pont de Villeneuve-sur-Lot, d'une portée de 96 mètres en 1919, le pont de Tonneins comprenant cinq arches de 46 mètres en 1922, le pont de Saint-Pierre-du-Vauvray, sur la Seine, record du monde de portée en béton avec son arche de 131 mètres, lors de son achèvement en 1922-1923.

Dans les années 1920, Freyssinet aborde presque toutes les techniques de construction en béton armé, arcs, sheds (travées de couverture d'usines), voiles minces. À côté du pont du Vauvray, deux réalisations assoient définitivement sa réputation. Il s'agit tout d'abord des hangars pour dirigeables d'Orly, véritables cathédrales avec leurs 300 mètres de longueur, 78 mètres de largeur et 50 mètres de hauteur. Leur profil sensiblement parabolique frappe l'imagination au moins autant que leurs dimensions. En 1930, Freyssinet termine la construction du pont Albert-Louppe, aussi appelé pont de Plougastel. D'une grande audace technique, l'ouvrage enjambe les 560 mètres de l'estuaire de l'Elorn au moyen de trois arches de 188 mètres, ce qui constitue un nouveau record mondial. À cette date, l'ingénieur commence toutefois à se désintéresser du béton armé. Il lui reproche sa résistance limitée aux efforts de traction qui oblige à recourir à la forme de l'arc sitôt que l'on veut franchir des portées importantes. La mise au point des procédés de précontrainte du béton va bientôt l'absorber presque entièrement.

Le principe de la précontrainte est fort simple. Le béton peut encaisser des efforts de compression importants, tandis qu'il lui est beaucoup plus difficile de résister aux tractions. Il suffit alors de comprimer le matériau de manière permanente, et ce à un niveau suffisamment élevé, pour rendre impossible le développement d'efforts de traction en son sein. La précompression ou précontrainte vient en effet neutraliser les efforts de traction. En pratique, on utilise des câbles ancrés aux extrémités du béton pour imprimer cette précontrainte. Depuis le début du xxe siècle, plusieurs ingénieurs avaient envisagé la mise en œuvre d'un tel principe. Au début des années 1930, la plupart des difficultés sont levées par Freyssinet. Celui-ci précise notamment la position des câbles,[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'architecture et des techniques à la Graduate school of design de l'université Harvard, Cambridge, Massachusetts (États-Unis)

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