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GUILLEVIC EUGÈNE (1907-1997)

Il est certain que la pensée et la poésie orientales ont, par divers relais, discrètement mais profondément imprégné — depuis une trentaine d'années — quelques courants de la poésie française. On ne s'en étonne pas moins de rencontrer des poètes dont ce n'est pas la « philosophie », mais la formulation même qui (tout en demeurant liée sans trace d'exotisme à un terroir) semble entretenir une curieuse et fine correspondance avec l'art de certains Anciens chinois ou japonais. Ainsi le Normand Follain, envers qui le Breton Guillevic (il naît à Carnac, Morbihan, le 5 août 1907) s'estime pour une part redevable, appliquant avec une rigueur croissante à son usage l'exemple d'un attachement à l'essentiel. À cette dense et régulière « calligraphie », Guillevic consacrera en bon « lettré » les pauses d'une carrière administrative et la méditation d'une existence n'éludant pas les instances de l'événement. Toutefois, si l'on excepte des Sonnets politiques plus naïfs que malencontreux (1934), c'est poétiquement que l'œuvre de Guillevic se révélera à l'occasion « engagée » (ainsi dans les poèmes d'Exécutoire, 1947, inspirés par la guerre et par la Résistance). Dès son premier livre, en effet (Terraqué, 1942), Guillevic s'affirme avec une économie de moyens sourcilleuse et presque abrupte, fort peu propre à s'accommoder de l'emphase ou des complaisances militantes. Au contraire, il restera fidèle, à travers tous ses thèmes, à l'interrogation ontologique mais très concrète qu'énonce sans relâche sa poésie en somme littéralement « lapidaire », la figure du roc (Carnac, 1961) y représentant de manière élective le surgissement muet des choses dans le paysage mental humain. De recueil en recueil (Sphère, 1963 ; Avec, 1966 ; Paroi, 1971 ; Du domaine, 1977), Guillevic approfondira cette interrogation insistante et qui — si elle n'échappe pas toujours à une forme paradoxalement concise de l'éloquence, par accumulation des laconismes du discours — se dérobe pourtant à toute pesanteur lyrique ou métaphysique. Bien différent du mouvement de Ponge qui analyse et décrit, le questionnement de Guillevic ressemble à une délicate et très précise acupuncture, sollicitant le grand organisme du monde en tels points névralgiques que peuvent offrir une roche, un caillou, un oiseau, un nuage, la groseille... Les mots eux-mêmes réduits presque à leur nudité fournissent alors la seule réponse que le poète se permette d'attendre : une vibration, un tremblement où ce qui fugitivement se dévoile n'est pas un « au-delà », mais l'intrication de tout dans l'unité énigmatique qui — avec sa distance gravement, amoureusement questionnante — l'inclut aussi.

Guillevic a entrepris de regrouper ses œuvres en recueils : Étier (1979) rassemble des poèmes écrits de 1965 à 1975, Autres (1980), de 1969 à 1979, Trouées (1981), de 1973 à 1980, Requis (1983), de 1977 à 1982.

— Jacques RÉDA

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