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EUGÈNE ONÉGUINE, Alexandre Pouchkine Fiche de lecture

Eugène Onéguine est un « roman en vers » qui comporte huit chapitres, plus le brouillon d'un chapitre x et celui d'un « Voyage d'Onéguine dans le Sud ». Pouchkine (1799-1837) avait vingt-quatre ans lorsqu'il entreprit de rivaliser – en russe et sur un sujet russe – avec les épopées humoristiques de Byron, Don Juan (1819-1824) et surtout Beppo (1817). Il venait d'acquérir la gloire avec une épopée burlesque intégrant passé épique et folklore russe, Rouslane et Ludmila (1822). La Russie entière adorait ce jeune prodige qui lui révélait à elle-même sa jeunesse et son romantisme inné. Pourtant, à bien des égards, Eugène Onéguine n'est pas un poème romantique. Son héroïne, Tatiana, n'a rien des figures victimes ou rivales du destin. Mais le livre marque indéniablement une étape vers la maturité du poète.

« Une encyclopédie de la vie russe »

Eugène Onéguine parut en éditions partielles de 1825 à 1832, puis en édition complète en 1833. Il fut salué comme « l'encyclopédie de la vie russe » par le maître de la critique d'alors, Biélinski. Plus tard, le poète Apollon Grigoriev aura ce mot définitif : « Pouchkine est notre tout. » Par ce poème, Pouchkine est effectivement devenu le poète national de la Russie, et l'est resté jusqu'à aujourd'hui ; mais il est difficile d'expliquer pourquoi à ceux qui n'y ont accès qu'en traduction. Le miracle de la forme, la transparence de cette langue, la multiplicité des tons, le jeu subtil qui s'instaure entre narrateur et lecteur, l'universalité des cycles de la vie russe : autant d'éléments qui sont obscurcis dès qu'ils sont transférés hors de la langue russe.

Eugène Onéguine, c'est avant tout une miraculeuse aisance dans le vers russe : écrit en tétramètres iambiques, le poème recourt sur ses 5 541 vers à une strophe originale, inventée par Pouchkine. Cette strophe est faite d'un quatrain de rimes plates, d'un quatrain de rimes alternées, d'un troisième quatrain de rimes embrassées, plus un distique (deux vers) apportant une dernière rime plate, qui contient le plus souvent une « pointe » qui fait sourire, et qui clôt la strophe. Savoir faire alterner dans un tel corset l'éloquence, le lyrisme, l'intimité, les dialogues les plus naturels, les tropes classiques, les émotions romantiques, y faire coexister le folklore, la mythologie, y traiter des enjeux économiques et sociaux de la Russie contemporaine, de la vie théâtrale ou littéraire et de la pensée politique : voilà la gageure de Pouchkine. La malice des enjambements, le caprice des rimes, les incrustations de mots étrangers, les recours aux proverbes, les multiples clins d'œil au lecteur concourent à l'extraordinaire fluidité du poème.

L'action commence à l'hiver de 1819 : l'ami de l'auteur, le dandy blasé Eugène, prend possession de l'héritage d'un oncle qui vient de mourir, s'installe à la campagne, fait connaissance d'un jeune voisin poète, Vladimir Lensky, récemment revenu d'Allemagne et qui l'entraîne chez une veuve qui a deux filles, Tatiana, l'aînée, rêveuse, et Olga, la cadette, pétillante. Lenski est amoureux d'Olga, pourquoi Eugène ne le deviendrait-il pas de Tatiana ? Mais en réalité c'est Tatiana qui est amoureuse d'Eugène. Les romans et son imagination l'ont préparée à une expérience dont elle ne sait rien, mais où la précipite l'absolue franchise de sa nature. Prenant les devants, elle lui fait envoyer une lettre d'amour. Dans le jardin, au rendez-vous qu'elle lui a donné en toute naïveté, Eugène lui fait la leçon et se pense très chevaleresque parce qu'il n'abuse pas de la situation : « Avouez, lecteur, que notre ami/ Avec cette pauvre Tania,/ Très galamment se conduisit./ Point n'est-ce en ce jour qu'il montra/ Pour la première fois droiture/ D'âme noble ; or, quoi qu'il en eût,/[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Genève, recteur de l'université internationale Lomonosov à Genève, président des Rencontres internationales de Genève

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Autres références

  • POUCHKINE ALEXANDRE SERGUEÏEVITCH (1799-1837)

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    • 3 365 mots
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    On retrouve ce thème dans Evgenij Onegin, roman en vers commencé en 1823. Mais dès le départ, le personnage de l'enfant du siècle est ici dépouillé de son mystère : sur un ton ironique qui s'inspire du Don Juan de Byron, Pouchkine dépeint dans le premier chapitre l'éducation superficielle...