MONTALE EUGENIO (1896-1981)
Les dix dernières années, fécondes en poésie. Le prix Nobel
Quatre derniers recueils
En revanche, depuis 1957 on croyait tarie la veine poétique de Montale. Mais la mort de sa femme, « Mosca » (1963), lui fait reprendre la plume en 1964, lui inspirant les Xenia (1966) et Altri Xenia (1967-1968) où, sur un ton d'émouvante confidence, sa poésie emprunte l'allure d'une conversation teintée d'humour discret pour évoquer des souvenirs : là plus encore qu'auparavant, l'homme apparaît inséparable du poète. Cette impression se confirme dans Satura (1962-1970), quatrième recueil, paru en 1971, en tête duquel trouvent désormais place les deux séries de Xenia, auxquelles s'ajoute tout ce que Montale s'est remis à composer à partir de 1968-1969. Un ton nouveau – quoique naguère latent – s'exprime, en accord avec la civilisation neuve d'une Italie industrialisée en pleine évolution sociale, en proie au consumismo, au terrorisme, aux transformations et aux secousses, suscitant aussitôt le consensus d'un vaste public. Abandonnant la poésie d'atmosphère, le lyrisme encore très littéraire bien que maîtrisé au prix d'un laconisme quasi hermétique, et le ton prophétique qu'on trouvait dans les trois premiers recueils, Montale, pour qui s'ouvre à présent une deuxième grande saison poétique, adopte une forme qui, selon ses propres dires, « tend vers la prose tout en la rejetant ». Désormais, dans ce « pot-pourri », alternent thèmes privés (sentiments et souvenirs, ressentiments, autoportraits ironiques) et publics (prises de position, allusives ou explicites, sur les problèmes de l'Italie et du monde, ou sur des questions philosophiques). L'occasion, l'anecdote, voire la polémique apparemment triomphent dans les multiples facettes d'un discours capricieux, brillant et laconique, familier et savant, limpide et difficile, où s'entrechoquent tous les lexiques. En réalité, à travers les paradoxes et les obsessions du temps, du destin individuel et de l'absurdité de l'histoire, l'auteur démythifie tous les mythes de la civilisation contemporaine, progrès compris, pour s'imposer, pour nous imposer l'ascèse du pessimisme viril déjà contenu dans les Os de seiche. Pessimisme qui, comme alors, n'exclut pas l'hypothèse d'une sorte de salut : « On dit que je ne crois à rien, sauf aux miracles. »
Ce ton nouveau qui, en vers, joue avec et se joue de la prose, cette variété de thèmes où l'actualité le dispute au souvenir, se retrouvent, s'affirment et s'épanouissent dans les recueils suivants. En 1973 paraît Diario del '71 e del '72 (Carnets de poésie 1971-1972), où le public voit confirmée son impression d'un Montale « en pantoufles » : mais, dans ce « journal », c'est un poète très maître de son art qui se joue de tout, y compris de lui-même et du lecteur, tour à tour ironique, ému, humoristique ou secrètement indigné. S'il déclare pratiquer l'« art pauvre », c'est pour ironiser sur les pièges du langage, caricaturer la société et l'histoire, tourner en dérision le scientisme et ses perspectives tout en raillant le catastrophisme, s'indigner de certaines mœurs intellectuelles, s'émouvoir de ce que « certains meurent pour nous », s'interroger sur la présence-absence de Dieu, mettre en doute le temps, l'existence et la mort. Ce ton, ces thèmes, ces attitudes, les deux derniers recueils les accentuent. Dans le « cahier » Quaderno di quattro anni (1977), sur ce style familier, qui n'exclut pas de brillants jeux de mots, s'exprime le doute systématique, et, plus encore, l'ironique prise de distances d'un homme auquel rien de ce qui se passe n'est étranger, mais qui proclame plus que jamais son « obtuse inappartenance ». Dans [...]
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Écrit par
- Patrice ANGELINI : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'italien, maître assistant à l'université de Nice
Classification
Média
Autres références
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ITALIE - Langue et littérature
- Écrit par Dominique FERNANDEZ , Angélique LEVI , Davide LUGLIO et Jean-Paul MANGANARO
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