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EULER (CONJECTURE D')

En 1769, le génial mathématicien suisse Leonhard Euler (1707-1783) proposait une conjecture généralisant le dernier théorème de Fermat. En 1966, les informaticiens américains Leon J. Lander et Thomas R. Parkin de la compagnie Aerospace à El Segundo (Californie) utilisèrent un ordinateur pour démontrer qu’elle était fausse.

Vers 1630, le magistrat et mathématicien Pierre de Fermat (1601-1665) note sur son exemplaire de la traduction d’Aritmetika du mathématicien grec Diophante d’Alexandrie (iie ou iiie siècle de notre ère) que l’équation xn + yn = zn est impossible en nombres entiers pour tout n supérieur à 2. Ce « théorème » de Fermat ne fut démontré de façon vérifiable qu’en 1994 par Andrew Wiles. Euler généralisait cet énoncé en disant qu’il n’existe pas d’ensemble de k nombres entiers non nuls tels que la somme de leurs puissances n-ième soit la puissance n-ième d’un autre entier, si n est supérieur à k.

Énoncer une conjecture n’est pas un acte bénin pour un mathématicien aussi exceptionnel qu’Euler, dont les nombreux travaux avaient une renommée internationale et qui, à l’époque, siégeait à l’académie de Saint-Petersbourg fondée quarante-quatre ans plus tôt par l’impératrice Catherine. La théorie des nombres n’était pas au xviiie siècle un domaine d’intenses recherches mais Euler essaya toute sa vie de prouver les résultats cités par Fermat. Il parvint à démontrer ce qu’on appelle le « petit théorème de Fermat », selon lequel ap-1  1 est divisible par p si p est un nombre premier qui ne divise pas a (ainsi 26 – 1 = 63 ; 63 est divisible par 7). Euler démontra aussi en 1770 le dernier théorème de Fermat dans le cas particulier de n = 3 en inventant une « arithmétique » des entiers algébriques de la forme a + bαa et b sont entiers mais α est la racine carrée de (– 3).

Le contre-exemple découvert par Lander et Parkin montre que l’intuition d’un mathématicien aussi génial qu’Euler peut être mise en défaut dans le domaine paradoxal de la théorie des nombres. Dans un court article envoyé en juin 1966 au Bulletin de la Société américaine de mathématiques, les deux auteurs décrivent comment ils ont recherché les solutions de l’équation diophantienne :x15 + x25 + x35 + … + xn5 = y5 pour n inférieur ou égal à 6. En classant par ordre croissant les xi (x1 ≤ x2 ≤ … ≤ xn), et en s’aidant d’une table préétablie des puissances cinquièmes des nombres entiers, ils programmèrent un ordinateur CDC 6600 pour qu’il trouve les solutions entières positives ou nulles pour n = 6 et y inférieur à 100. Parmi les dix solutions obtenues, deux étaient connues depuis 1888. La plus simple faisait intervenir les nombres 4, 5, 6, 7, 9 et 11 (y = 12). Deux solutions indiquaient x1 = 0 et les auteurs élargirent leur champ de recherche pour n = 5 jusqu’à y = 250. Le calcul indiqua deux solutions supplémentaires pour n = 5, dont la dernière se révéla – de façon inattendue selon les auteurs – un contre-exemple à la conjecture d’Euler puisque le premier des cinq entiers y est nul. L’identité 275 + 845 + 1105 + 1335 = 1445 prouve que la somme de quatre puissances cinquièmes peut être la puissance cinquième d’un entier. Deux autres contre-exemples indépendants (ce qui signifie qu’ils ne sont pas simplement obtenus en multipliant tous les nombres d’une solution par un même entier) furent trouvés pour ce même cas (n = 5) en 1996 et 2004. Le cas n = 4 fut résolu en 1988 par le mathématicien américain Noam Elkies (né en 1966), qui découvrit une méthode pour construire un nombre infini de contre-exemples, le plus petit s’écrivant : 2 682 4404 + 15 365 6394 + 18 796 7604 = 20 615 6734.

— Bernard PIRE

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Écrit par

  • : directeur de recherche émérite au CNRS, centre de physique théorique de l'École polytechnique, Palaiseau

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