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EUPHRONIOS (dernier quart VIe-déb. Ve s. av. J.-C.)

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Peintre et, probablement, potier, Euphronios, dont le nom nous est connu par dix-huit signatures, est le plus grand des artistes athéniens appartenant à la première génération des peintres de vases qui utilisent la technique de la (ou des) figure(s) rouge(s), inventée vers ~ 530, sans doute par le Peintre d'Andokidès. Les possibilités d'expression offertes par la nouvelle technique sont telles que les meilleurs artistes travaillant dans les ateliers du quartier du Céramique d'Athènes l'adoptent immédiatement. Plusieurs noms sont attestés par des signatures : Euphronios, certes, mais aussi Euthymidès, son rival direct, Phintias, Smicros. Dans l'état actuel des trouvailles, Euphronios a signé en tant que peintre (égraphsen = a peint) six vases, dont le cratère en calice G 103 du Louvre, et son style est reconnaissable sur une vingtaine de pièces, non signées. Le nom d'Euphronios se retrouve sur douze autres vases, tous des coupes : dans deux cas, l'inscription est incomplète, le vase étant mutilé, et l'on ne peut savoir quel verbe accompagnait le nom ; dans les dix autres cas, Euphronios a signé en tant que potier (époiésen = a fabriqué), mais d'autres ont peint le décor : huit de ces coupes sont attribuées à un certain Onésimos, connu par une signature sur une coupe du Louvre (G 105) que justement signa aussi Euphronios comme potier ; une neuvième est peut-être aussi décorée par lui ; la dixième (Berlin, Staatliche Museen, no 2282) l'est par un peintre anonyme, postérieur à Onésimos et désigné sous le nom de Peintre de Pistoxénos. Le décalage chronologique entre les premières œuvres du peintre Euphronios et la coupe la plus récente signée par le potier du même nom est d'une cinquantaine d'années, si bien que l'on peut légitimement se demander s'il s'agit bien du même personnage. L'on admet cependant, en général, qu'Euphronios aurait été d'abord peintre puis, dans la seconde moitié de sa vie, peut-être à un moment où sa vue avait baissé, potier, ou sans doute plus exactement chef d'un atelier de fabrication de vases ; et ce serait plutôt cet Euphronios devenu riche qui aurait dédié sur l'Acropole d'Athènes une offrande dont la base, seule conservée, porte encore l'inscription Euphronios kérameus.

Quoi qu'il en soit, c'est comme peintre, ou plus exactement comme dessinateur, qu'Euphronios mérite d'être rangé parmi les plus prestigieux artistes grecs. De la même manière que plusieurs de ses grands contemporains, il a décoré aussi bien des poteries de taille moyenne, comme les coupes, que des vases plus massifs, tels les cratères et les amphores, avec cependant une nette préférence pour cette deuxième catégorie de récipients, en particulier pour les cratères en calice. Son répertoire comprend des thèmes inspirés les uns par la vie quotidienne, les autres par la tradition épique et mythologique (en particulier les exploits d'Héraclès, sur les cratères en calice G 103 et G 110 du Louvre, sur le cratère à volutes du museo archeologico d'Arezzo, no 1465, sur l'extérieur de la coupe de Antikensammlungen de Munich, no 2620). Les deux sortes de thèmes sont souvent associés sur le même vase, l'un sur une face, l'autre sur l'autre.

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Quel que soit le thème traité, l'œuvre d'Euphronios frappe par la virtuosité et la sûreté du dessin, le soin minutieux apporté au traitement du moindre détail. Il s'attache en particulier à rendre avec le maximum de précision les détails anatomiques de ses personnages, souvent présentés entièrement nus. Si la réussite n'est pas toujours excellente dans le cas des femmes, par exemple sur le psykter (récipient en forme de champignon ou de toupie destiné à être placé, rempli de glace ou d'eau fraîche, dans un cratère plein de vin, pour le rafraîchir) de Saint-Pétersbourg (Ermitage, no 644), l'anatomie masculine est en revanche traitée avec une précision toute scientifique, qui va quelquefois jusqu'à indiquer des lignes correspondant à des muscles situés en profondeur et normalement invisibles. Les deux plus beaux tableaux du maître sont sans nul doute d'une part la lutte d'Héraclès et d'Antée sur le cratère en calice du Louvre déjà cité, d'autre part l'enlèvement du cadavre de Sarpédon par Hypnos et Thanatos (le Sommeil et la Mort) sur un cratère du même type (Metropolitan Museum de New York, Inv. 1972.11.10). Les torses d'Antée et de Sarpédon donnent presque l'impression d'avoir été dessinés comme ceux d'écorchés. En inventeur fier de ses découvertes, Euphronios se livre à un véritable exhibitionnisme, pour reprendre le terme proposé par J. Maxmin (« Euphronian legs reconsidered », in Archaiologika Analekta ex Athinôn, VI, 1973) ; dans quelques cas limites, il garnit son tableau de tout ce qu'il sait dessiner, au prix même d'invraisemblances. Mais, quoique rarement indiqués par les autres peintres de vases, bien des détails présentés par Euphronios sont conformes à la stricte réalité : cils autour de l'œil, ongles des doigts de pied et de main, etc.

Ces recherches de détail n'empêchent pas une parfaite articulation de la structure d'ensemble du corps, dans une harmonie de lignes tracées les unes en noir, les autres en un vernis dilué qui prend des tons de sépia plus ou moins foncés. En outre, Euphronios ne perd jamais de vue la composition. Son principe de base est, comme chez beaucoup de ses contemporains, la symétrie, mais il y apporte de nombreux assouplissements. C'est ainsi que deux guerriers debout, rigoureusement symétriques, encadrent la scène de l'enlèvement de Sarpédon, sur le cratère de New York, mais il y a par ailleurs une légère différence dans la position des deux génies ailés. Le schéma triangulaire de la partie centrale se retrouve, plus net encore, sur le cratère du Louvre où Héraclès et Antée s'arc-boutent l'un contre l'autre en se soulevant du sol. Dans ce cadre parfaitement composé, l'artiste sait créer des oppositions subtiles entre surfaces contiguës, les unes pleines et richement décorées, les autres réservées et vides. Euphronios aime aussi, comme son prédécesseur, le Peintre d'Andokidès, jouer sur les couleurs et opposer, par exemple sur le cratère du Louvre, la chevelure et la barbe noires, courtes et parfaitement en ordre du héros grec Héraclès à celles, blondes, longues et hirsutes du Barbare Antée.

Comme son rival Euthymidès, Euphronios se livre à des études de présentation de personnages sous des angles divers, afin d'essayer de sortir de la traditionnelle présentation de profil. Malgré quelques maladresses, par exemple dans la technique du raccourci, l'artiste réussit souvent à rendre avec grâce, élégance et vérité le mouvement et la torsion des corps, par exemple dans la très belle scène d'éphèbes à la toilette qui orne l'une des faces d'un cratère de Berlin (Staatliche Museen, no 2180). L'artiste rivalise ici, consciemment ou non, avec le sculpteur anonyme qui, sur une base de statue remployée dans le mur de Thémistocle, au Céramique, et conservée au Musée national d'Athènes (Inv. 3476), a représenté en bas relief, vers ~ 510, six jeunes gens en train de jouer à la balle, tous debout dans des attitudes différentes. Dans ses œuvres les plus récentes, Euphronios s'efforce aussi de traduire le mouvement violent et désordonné.

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Le goût de la précision, qui est un des traits les plus profonds de la personnalité d'Euphronios, apparaît aussi dans l'habitude d'indiquer par une inscription tracée en rouge violacé le nom des personnages, mythiques ou réels, qu'il représente. Outre les éventuelles signatures, du peintre et quelquefois du potier, un autre type d'inscription se rencontre sur la plupart des vases d'Euphronios : une acclamation vantant la beauté d'un jeune homme de l'époque. Un nom revient plus souvent que les autres, celui du jeune Léagros, tué dans une bataille, dont l'adolescence peut être située entre ~ 520 et ~ 500 environ, ce qui donne un critère précieux de datation pour les vases qui portent son nom — et qui sont les plus beaux dans la production du maître.

Pionnier dans la finesse et la précision du dessin, pionnier dans la diversification des attitudes, pionnier dans l'art de composer des tableaux à cinq ou six personnages en figures rouges, Euphronios l'est aussi, à l'occasion, dans l'art de la « mise en page » à l'intérieur d'une surface circulaire (ainsi dans la coupe de Munich déjà citée), et c'est sur les peintres de coupes du premier quart du ~ ve siècle, en particulier Onésimos et le Peintre de Brygos, que l'influence d'Euphronios sera stylistiquement la plus grande.

— Jean-Jacques MAFFRE

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  • : ancien membre de l'École française d'archéologie d'Athènes, docteur ès lettres, professeur de civilisation grecque à la Sorbonne (Paris IV)

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