EUPHUISME
L'euphuisme, style maniéré
L'euphuisme se caractérise par l'emploi quasi mécanique de certains procédés :
– Procédés de structure et de rhétorique : le parallélisme des phrases et des propositions à l'intérieur des phrases ; l'utilisation de l'antithèse ; l'emploi fréquent des questions rhétoriques, souvent en séries. Ces procédés peuvent être associés dans le même paragraphe, voire dans la même phrase ; ils sont liés au contenu de l'œuvre, qui laisse beaucoup de place au discours, à l'argumentation, et relativement peu au récit.
– Procédés euphoniques : une utilisation abondante de l'allitération, de l'assonance, quelquefois même de la rime, cela pouvant aller jusqu'à la répétition des mêmes termes ; de là, en grande partie, l'impression d'artificialité que laisse le style d'Euphues.
– Figures de style : images, comparaisons, quelquefois métaphores, qui servent de point d'appui dans la démonstration et ont essentiellement une fonction décorative. Lyly les choisit dans l'histoire et la mythologie de l'Antiquité, et ne se prive pas, au besoin, d'inventer des personnages et des événements. Mais surtout, il les emprunte à l'histoire naturelle telle qu'on la connaissait à l'époque, d'après l'œuvre de Pline et les bestiaires du Moyen Âge ; ici également, Lyly ne se fait pas faute d'inventer quand cela lui semble nécessaire.
Un grand nombre d'éléments de l'euphuisme se rencontrent, par exemple, dans le passage suivant :
Alors que le ver pénètre dans presque tous les bois, il ne ronge point le cèdre ; alors que la pierre appelée Cylindre, à chaque coup de tonnerre, roule de la colline, la pierre à polir, dépourvue d'impuretés, monte au même bruit ; alors que la rouille corrode l'acier le plus dur, elle ne ronge point l'émeraude ; alors que le Polype change de teinte, la Salamandre garde sa couleur ; alors que Protée prend tous les aspects, Pygmalion garde sa forme ancienne ; alors qu'Énée fut trop inconstant à l'égard de Didon, Troïlus fut trop fidèle à Cressida ; alors que les actions d'autres hommes paraissent entachées de fausseté, soyez certaine, Lucilla, que la conduite d'Euphues sera toujours digne de crédit.
On a cru trouver les sources directes de ce style dans la traduction, par Thomas North en 1557, du Cadran des Princes, du prosateur espagnol Guevara (hypothèse aujourd'hui généralement abandonnée), et dans Le Palais du plaisir (1576), de George Pettie. Une recherche de sources ne doit cependant pas faire négliger deux faits essentiels : d'une part, qu'un style proprement aristocratique, empreint d'un maniérisme proche de celui de l'euphuisme, était en usage bien avant l'œuvre de Lyly (des lettres de la reine Élisabeth écrites peu après le milieu du xvie siècle en font foi) ; d'autre part, que le mérite et l'originalité de Lyly sont d'avoir systématisé, et même codifié, un style qui existait avant lui à l'état d'ébauche et qui permettait à l'élite aristocratique de se distinguer de la masse de la population. De plus, les démonstrations que l'on trouve dans Euphues, avec la répétition de la même idée sous plusieurs formes, avec les images qui les éclairent et les embellissent, et les emprunts qu'elles font aux divers domaines de la connaissance de l'époque, témoignent à la fois d'un amour de la langue anglaise pour elle-même et d'une jouissance à exploiter ses possibilités d'expression. En cela, on peut considérer que Lyly appartient au mouvement de défense et d'illustration de la langue anglaise qui, au cours des dernières décennies du xvie siècle, se manifeste notamment dans les œuvres théoriques de Wilson, de Mulcaster et de[...]
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Écrit par
- Georges GRANJOUX : maître assistant à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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