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EURIPIDE (env. 480-406 av. J.-C.)

La souffrance, les hommes et les dieux

Tel est le théâtre d'Euripide, du moins vu des gradins : une accumulation d'orages et de cataclysmes, entrecoupés de sporadiques éclaircies. Il faut dépasser ce stade et tenter, en soulevant le voile, d'apercevoir le moi dans le miroir des autres. Pour donner la vie, il faut l'avoir reçue. Euripide a été vivant ; il a cherché le bonheur, ne l'a trouvé que par à-coups ; jusqu'au bout, il s'interroge sur le sens du destin de l'homme, sans découvrir la solution qu'il pourchasse avec la curiosité d'un savant, la passion d'un être qui souffre. S'il pousse au noir ses drames, ce n'est pas faute d'avoir espéré la lumière, qui n'est pas descendue jusqu'à lui.

Dans ses tragédies de jeunesse, il manifeste de l'intérêt pour les femmes scandaleuses. Les approuve-t-il ? Non pas. Il corrige le scandale et substitue à la Phèdre coupable une Phèdre qui lutte contre la passion coupable. Car il est épris de pureté, en morale comme en politique et en religion. Mais est-ce sa faute s'il vient trop tard dans un monde trop vieux ?

On le dit misogyne. Peut-il haïr les femmes, celui qui s'est fait spécialiste des fibres de leur cœur et décrit en connaisseur la joie qu'elles peuvent être dans la vie d'un homme ? Aucune des nuances de l'amour ne lui est étrangère – et son expérience n'est pas livresque –, mais il ne les trouve que dans le cœur féminin. N'est-ce pas le signe qu'il les y a cherchées ? Cependant, si une femme peut sacrifier sa vie pour prouver son amour, préfère le suicide à la faute, est torturée d'une trahison, pourquoi le père est-il trop heureux de se défaire d'une fille en la mariant ? Les troubles de la chair engendrent partout le désordre et le malheur. Euripide connaît trop bien les femmes, en fin de compte, pour ne pas les redouter. Comment ne pas craindre une Médée, une Phèdre, bien sûr, mais même une Électre ou une Iphigénie ? La force du caractère, aussi bien que la faiblesse du corps, rompt cet ordre qui doit régler les rapports des époux. En dernière analyse, même innocente, surtout innocente, Hélène reste dangereuse par sa beauté génératrice de catastrophes, familiales puis nationales. La déesse née des flots n'est pas bienfaisante, mais redoutable : jalouse du bonheur des hommes, elle les aveugle.

Les humains sont donc condamnés à la souffrance, même de la main qui pourrait l'apaiser. Ce pessimisme d'Euripide n'est nullement commandé par le genre tragique. Il a choisi le genre qui convenait à son tempérament. Le mal, donc le malheur, est partout. Du premier jusqu'au dernier jour de sa vie, la créature humaine le rencontre, l'affronte, est vaincue. L'existence amasse les épreuves physiques, morales, au foyer, dans la cité, entre les cités. Certaines familles, comme celle d'Œdipe, sont privilégiées en quelque sorte dans une souffrance qui s'acharne sur leurs générations. S'il a ses instants de joie, l'homme n'en est pas pour autant délivré du malheur : le malheur ne fait, pour un temps, que changer de camp. Voici Héraclès : il approche de la retraite ; ses travaux achevés, il retrouve sa femme, ses enfants ; il a tout pour être heureux ; mais la justice attire la persécution ; une déesse encore jalouse s'acharne à le perdre ; rendu furieux, il massacre sa femme et ses enfants. Il faut donc traverser l'Achéron pour trouver le repos.

Le repos – pas nécessairement le bonheur. Car les dieux, s'ils existent, s'ils s'intéressent à l'homme, n'ont guère pitié de lui. Au fait, sont-ils des dieux, pour tolérer son malheur, bien pis, pour le persécuter ? Curieux ou apeuré, toujours passionné, Euripide est hanté par le problème capital du divin, dont il cherche, en tous sens, la solution fugitive.[...]

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Euripide - Athènes - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Euripide - Athènes

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